L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Essais & documents  ->  
Questions de société et d'actualité
Politique
Biographies
People / Spectacles
Psychologie
Spiritualités
Pédagogie/Education
Poches
Divers

Notre équipe
Littérature
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Essais & documents  ->  People / Spectacles  
 

Dans l'atelier de Woody Allen
Eric Lax   Entretiens avec Woody Allen
Plon 2008 /  26 € - 170.3 ffr. / 430 pages
ISBN : 978-2-259-20490-3
FORMAT : 16,5cm x 21,5cm

Traduction de Christophe Mercier.

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

Imprimer

Ce livre est le second ouvrage consacré à des entretiens avec Woody Allen, le premier étant celui de Stig Björkman (Cahiers du cinéma, 2002), d’ailleurs passionnant. Pendant trente six ans, Eric Lax, biographe attitré du cinéaste, a suivi Woody Allen dans son travail et l’a accompagné sur ses tournages. Il était bien placé pour rassembler sous forme de conversations toutes les réactions de l’artiste à ses questions les plus diverses. D’autant que l’auteur de Manhattan a une énergie peu commune pour réaliser un film par an. Mais malgré un nombre important de films, beaucoup de spectateurs se méprennent sur son oeuvre. Certains s’en lassent, croyant y voir le rabâchage égotiste des mêmes obsessions, voire, suprême erreur, envisageant cette oeuvre sous l'angle autobiographique. Un livre d'entretiens peut alors rectifier le tir et inciter à reconsidérer des jugements trop hâtifs.

Il est sans doute difficile de faire face au fourmillement intense qu’un spectateur peut ressentir au sortir des films de Woody Allen. Il n’est pas douteux que ce foisonnement - le nombre de films réalisés, les divers thèmes abordés, sans cesse repris et retravaillés comme d’infinies variations - est destiné à nous restituer le sentiment complexe, ambigu, ironique, de l’existence et de la comédie humaines. Or, ce côté exubérant et copieux, hilarant et déconcertant, agité et serein, à la fois ironique et mélancolique, sous-tendu par le jazz, n’est là que pour nous provoquer dans nos soit-disant acquis. D'autres cinéastes, comme Stanley Kubrick, préfèrent concentrer leur talent sur un film qu'ils vont peaufiner sans cesse pour en faire une oeuvre somme, tandis que Woody Allen enchaîne film sur film. Il y a là une économie propre à chaque grand créateur. Cependant, quand on survole l’œuvre de Woody Allen, on ne peut qu'être frappé par la diversité et la subtilité des thèmes qu'il a abordés, et par l'élégance et la rigueur esthétique dont il fait preuve à chaque film.

La matière la plus sûre que l’on puisse obtenir de l’œuvre d’un cinéaste, ce sont les films mêmes. Les entretiens, en général, sont secondaires même s’ils permettent d’obtenir certains éclairages sur l'oeuvre. Dans de tels entretiens, un artiste peut aussi être négligent, complaisant, tout simplement parce qu’il est dans l’immédiateté ou l'obligation de répondre alors qu’un film connaît une longue maturatio. Et fort heureusement, nous n’aurons ici aucun détail croustillant sur la vie privée de Woody Allen.

Tout au long de ces 400 pages, on est frappé à plusieurs reprises par la modestie du cinéaste, et même sa simplicité. "J'ai de moi-même une vision très lucide. Quand je dis que je n'ai pas réalisé de chef d'oeuvre, les gens pensent que je suis trop modeste, ou alors qu'il s'agit de fausse modestie. Quand je mets en scène ma vision du monde, on parle de cynisme. Mais ce n'est vrai dans aucun des deux cas. Je dis la vérité. Je ne me considère pas comme un artiste. Je me vois comme un cinéaste qui tourne, un cinéaste qui a choisi de tourner tout le temps plutôt que de faire tous les trois ans un film devant lequel on déroulera le tapis rouge. Je ne suis pas cynique, et je suis loin d'être un artiste. Je suis un type moyen qui a la chance de travailler" (p.119). On pourrait croire en effet à une fausse modestie chez Woody Allen mais ses films vont pourtant dans son sens en critiquant radicalement les illusions que les hommes et les femmes se font sur leur identité, sur leur condition, sur l’amour, etc. Il est indéniable que Woody Allen a une vision tragique de l'existence ; l'homme ne peut pas faire face, consciemment ou rationnellement, aux problèmes complexes et écrasants qui s'imposent à lui.

C'est ce qu'il disait déjà dans Manhattan à travers son personnage principal, Isaac : «Une idée de nouvelle sur les habitants de Manhattan qui, constamment, se créent des problèmes névrotiques inutiles pour éviter d'avoir à répondre à des questions plus terrifiantes et insolubles concernant l'univers». C'est bien cela que Woody Allen met en scène dans chacun de ses films : la réalité est dure et douloureuse (même si elle apporte de grands plaisirs et a le mérite d'exister) tandis que trouver refuge dans l'imaginaire, c'est la porte ouverte à la folie et l'impossibilité de la moindre compensation concrète. Le dilemme est insolvable. On comprend alors que Woody Allen ne réalise pas de pures comédies (à part quelques exceptions et l'on apprend ainsi que pour lui, son pire film est Le Sortilège du scorpion de Jade) mais qu'il parvient à "dissimuler" son sens du tragique derrière des comédies en apparence innocentes (revoir le sublime Comédie érotique d'une nuit d'été). Son élégance se situe aussi là.

Le livre est structuré en plusieurs chapitres : «L’idée», «L’écriture», «Le casting, les acteurs, le jeu», «Le tournage», «Les décors», «Les extérieurs», «La mise en scène», «Le montage», «La musique», «La carrière». A chaque fois, nous rentrons dans le vif du sujet et d'une façon chronologique. Eric Lax part souvent des années soixante-dix pour terminer dans les années 2000. Parfois, comme dans «Le casting, les acteurs, le jeu», Woody Allen ne dit pas grand chose de substantiel ; il s'extasie la plupart du temps sur les comédiens et les comédiennes avec lesquels il a tourné. Sans doute le livre d'Eric Lax est-il un poil moins intéressant que celui de Stig Björkman, qui allait plus loin ou plus profondément dans les thématiques existentielles du cinéaste. Peut-être ressentons-nous ainsi que l'auteur ne pousse pas Woody Allen assez loin dans ses retranchements, afin que celui-ci donne des détails plus riches sur les sujets abordés. Nul doute que les passionnés du cinéaste trouveront quelques détails ou anecdotes à se mettre sous la dent sur une méthode de travail ou de tournage, mais ce livre d'entretiens n'apporte rien de nouveau par rapport à ce que l'on pouvait savoir déjà. Il reste somme toute indispensable pour approfondir et connaître plus intimement l'atelier du cinéaste new yorkais.

On est toujours aussi intéressé de suivre le cinéaste dans ses avis ou jugements, dans ses traits d'humour ou dans ses constats qui seront pessimistes pour les uns, ou strictement réalistes pour les autres : "Je crois que le trait saillant de la vie humaine, c'est l'inhumanité de l'homme envers l'homme. Si on voyait ça de loin, si on était des habitants de l'espace, je pense que c'est l'impression qu'on aurait. Je ne crois pas qu'ils seraient impressionnés par notre art, ni par ce que nous avons accompli. Je crois qu'ils seraient frappés de terreur par le carnage et la stupidité" (p.101)...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 14/07/2008 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Le Cinéma de Woody Allen
       de Yannick Rolandeau
  • Woody Allen
       de Woody Allen , Stig Björkman
  • L'Erreur est humaine
       de Woody Allen
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd