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| Jean-Claude Guillebaud Comment je suis redevenu chrétien Albin Michel 2007 / 14 € - 91.7 ffr. / 182 pages ISBN : 978-2-226-17507-6 FORMAT : 12,5cm x 19,5cm Imprimer
Né en 1944, journaliste pendant vingt ans, grand reporter pour Le Monde, envoyé sur les nombreux théâtres de conflits des années 70, Jean-Claude Guillebaud a décidé un jour dabandonner le journalisme de terrain, la terreur au quotidien, guerres et famines, et de prendre du recul. Devenu directeur littéraire au Seuil (1981-1995), il sest alors embarqué dans une aventure intellectuelle, entraîné par ses auteurs : Cornelius Castoriadis, Jean-Marie Domenach, Jean-Pierre Dupuy et dautres, venus dhorizons disciplinaires différents et qui cherchaient à comprendre les changements de civilisation quils pressentaient ; changements annoncés entre autres par le colloque international Disorder and Order tenu à Stanford en octobre 1981. Dérangé, stimulé, passionné par ces idées neuves, habité par la certitude que lon vivait un temps de rupture, lancien étudiant de Jacques Ellul écrit La Trahison des lumières (1995) ou La Refondation du monde (1999). Progressivement simpose à lui la conviction quil lui faut repenser sa relation au christianisme, famille de pensée dont il est issu, mais dont il sest détaché au fil des années.
Comment je suis redevenu chrétien, que publient aujourdhui les éditions Albin Michel, est le témoignage de ce parcours personnel, des étapes franchies, des interrogations posées, au filtre de la raison, de lexpérience dune vie, celle dun homme engagé. Autour dune question centrale - analyser la pertinence du message évangélique dans la société contemporaine -, le livre est organisé en trois parties : «Les sources de la modernité», «La subversion évangélique», «La foi comme décision». Dans une langue claire, Jean-Claude Guillebaud analyse le poids du christianisme dans sa vie et dans la société actuelle. Il sinsurge avec vigueur contre linculture érigée en dogme de certains adversaires du christianisme : «Cette ignorance théologique est repérable jusque chez les intellectuels ou les universitaires qui font profession de combattre lobscurantisme religieux et égrènent inlassablement la même série de croisades et autres crimes dInquisition en oubliant tous les apports positifs du rôle social de lEglise au fil des siècles».
A ce titre, la controverse de Valladolid (1550/1551), organisée à la demande de Charles Quint pour déterminer la meilleure politique possible dans le Nouveau Monde et dans les relations avec les Indiens, lui semble un exemple judicieux. Loin dy voir une manifestation de sectarisme, il montre au contraire en quoi le niveau de réflexion théologique y a été élevé pour répondre à cette question fondamentale : comment définir la nature humaine et quen est-il des indiens ? : «Concernant cette question de légalité, tout sy trouve en quelque sorte résumé : subversion évangélique et ambiguïtés mortelles dune religion dEtat, égalitarisme biblique et rémanence du naturalisme grec, européanisation du monde et conquête coloniale». Ainsi, le discours évangélique, loin dêtre dépassé, est en fait le socle sur lequel repose la civilisation occidentale, et Jean-Claude Guillebaud traque les «traces» judéo-chrétiennes sur lesquelles nous vivons : la conscience des droits de lhomme, limportance fondamentale du statut de lindividu.
Reprenant les étapes de son parcours personnel, il sattache ensuite à présenter la vigueur roborative du message chrétien : non seulement pour lui le discours évangélique nest pas dépassé, mais bien au contraire la phrase de Jean XXIII - «nos textes ne sont pas des dépôts sacrés, mais une fontaine de village» - est plus que jamais dactualité. Fortement ébranlé par luvre de René Girard, il insiste sur la révolution absolue que pose la Bible en inversant le sens du sacrifice par rapport aux religions antérieures : désormais le point de vue de la victime est central : «Cest bien pour cette raison, parce que loppression ne peut plus se dire explicitement pour ce quelle est, quon voit se développer une funeste compétition pour occuper la place de la victime, ce promontoire stratégique de loppression».
Jean-Claude Guillebaud se pose aussi la question de lEglise en tant quinstitution et montre comment, dans un premier temps, il a plutôt été attiré par la critique dune institution puissante (la puissance et la gloire), attiré par ce que le judaïsme nomme le tsimtsoum et le christianisme la kenose : leffacement de Dieu, une théologie de la croix opposée radicalement à une théologie de la gloire. Ses rencontres avec de nombreuses communautés au fil des années lont incité à revenir sur cette lecture, et il insiste sur la diversité des attitudes, les différences additionnées qui construisent une Eglise vivante habitée par la puissance certes, mais aussi par la protestation et la sainteté. «Lhistoire du christianisme nest-elle pas marquée par cette opposition, difficile mais féconde, entre la pesanteur de linstitution et la fulgurance du message ?» Une institution humaine avec ses faiblesses, mais aussi ses forces ; il souligne dans sa démarche ce qui le rapproche et qui loppose à Régis Debray, qui, lui, fonde son approche sur la reconnaissance du poids de linstitution.
Les dernières pages définissent «la foi comme décision», un parcours en construction («Il arrive, écrit Soren Kierkegaard, que la foi voyage incognito.») qui souvre sur une ultime citation, une dernière interrogation : ««Soyez toujours joyeux», répétait saint Paul dans ses épîtres. Saurais-je lêtre ? Saurons-nous lêtre ?»
Un ouvrage bref et stimulant, ouvert comme la main tendue de lange de Botticelli qui illustre la couverture.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 18/04/2007 ) Imprimer
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