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Métaphysique, science et religion
Bruno Munier   Perspectives athéistes de l'Univers - L'Infini, la Nature et les Hommes
Editions du Cygne 2011 /  19 € - 124.45 ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-84924-210-0
FORMAT : 14cm x 21cm

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, Christophe Colera est l'auteur, entre autre, aux Éditions L’Harmattan, de Dialogue sur les aléas de l’histoire (2010).
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Toute pensée politique du monde contemporain doit aujourd’hui intégrer la définition d’objectifs globaux pour l’équilibre de notre planète, et cette définition passe par une réflexion proprement philosophique sur le statut ontologique de l’homme, de la nature et de l’univers. C’est ce qu’a bien compris le spécialiste des relations internationales Bruno Munier qui, après des travaux sur la gouvernance mondiale et le libéralisme, nous propose ici une vision de sa métaphysique personnelle nourrie des découvertes récentes de la science (un va-et-vient entre politique et sciences qui rappelle celle du chroniqueur de The Economist Matt Ridley dans ses derniers ouvrages, à ceci près que Ridley a une formation scientifique au départ).

La métaphysique dont il s’agit ici est une métaphysique «athéiste». Munier explique en effet que les défis écologiques majeurs auxquels l’humanité est actuellement confrontée rendent urgent l’abandon des références aux religions car celles-ci, selon lui, en imaginant un commerce particulier entre êtres humains et divinités imaginaires, enferment notre espèce dans l’illusion de sa supériorité à l’égard de son environnement et la dissuadent de le protéger.

Dans son ouvrage, Bruno Munier s’attache à démontrer qu’aussi bien l’apparition de notre univers à la suite du Big Bang, que la naissance de la vie dans notre système solaire ou l’apparition de l’humanité sont des phénomènes aléatoires qui ne pouvaient résulter d’aucun plan providentiel ni même d’aucune création ex nihilo. Pour lui la matière dans le temps et dans l’espace est infinie et l’idée d’une transcendance régulatrice ne peut que résulter d’une projection anthropocentrique sur un univers en réalité largement étranger à notre logique et parfaitement indifférent au devenir de notre planète.

L’ouvrage de B. Munier, à la fois rigoureux et inspiré, accessible à un grand public, fonctionne sur ces sujets comme une synthèse élégante et efficace des dernières théories scientifiques, et comme un antidote au retour des interprétations spiritualistes dont le champ scientifique lui-même n’est pas exempt.

Les esprits religieux objecteront sans doute au livre que le soin pour l’environnement que l’auteur place au sommet de ses soucis éthiques n’est pas incompatible avec la familiarité entre l’homme et Dieu ainsi que le montrait déjà dans l’univers chrétien l’exemple de Saint François d’Assise, et qu’au contraire l’athéisme en encourageant le nihilisme peut conduire au mépris de la nature. Mais B. Munier anticipe sur l’objection quand il affirme que de toute façon on ne peut être raisonnable quand on est irrationnel et que donc on suivra toujours mieux l’intérêt de l’espèce en connaissant scientifiquement son intérêt qu’en tordant l’interprétation de textes arbitraires dans des directions intuitives toujours hasardeuses.

A vrai dire, il nous semble plutôt que les difficultés de l’ouvrage se situent ailleurs. Elles résident moins dans son parti-pris anti-religieux aisément compréhensible et justifiable dans le cadre d’une démarche rationnelle, que dans son positionnement ambigu à l’égard des sciences dures.

Pour justifier son refus radical de tout «théisme» comme il le dit, l’auteur croit devoir partir d’une hypothèse invérifiable, celle de l’existence d’un espace infini, d’un apeiron qui à ses yeux légitime l’athéisme. Mais cette hypothèse indémontrable relève nécessairement de la conviction intime, à maints égards aussi arbitraire qu’un acte de foi religieuse (Kant l’avait d’ailleurs classé parmi ses «parallogismes de la Raison pure», dans la liste de ses antinomies).

Bruno Munier assume ce choix en estimant que tout matérialiste conséquent doit à partir d’un certain moment s’aventurer sur le terrain d’une métaphysique pour contrer pour ainsi dire «par avance» les interprétations théistes. On pourrait saluer cette bravoure en estimant qu’ainsi l’auteur évite la pente naturelle sceptique sur laquelle tout positivisme orthodoxe finit par glisser. Mais cela le conduit paradoxalement à maints endroits du livre à relativiser à l’excès la science elle-même. Il laisse d’ailleurs volontiers entendre que celle-ci resterait à ses yeux toujours enfermée dans des paradigmes contestables, du seul fait que l’incompatibilité entre les principes de la relativité «à grande échelle» et ceux de la mécanique quantique en micro-physique n’est toujours pas dépassée.

Cette hâte à minimiser l’importance des sciences lorsqu’elles risquent de problématiser le parti pris initial en faveur de l’espace infini conduit hélas l’auteur à des choix très contestables. Notamment quand il pare de vertus (des vertus au fond essentiellement «esthétiques») des théories comme la théorie des Bulles (dérivée de la théorie des Cordes) selon laquelle il existerait une infinité d’univers concomitants à celui dans lequel nous vivons, comme une série de bulles à la surface d’un verre de bière ou d’un bain moussant, voire plus loin dans son éloge de la Gravité Quantique des boucles (sur les phases d’évolution des univers). Selon lui ces théories ont le grand mérite de rompre avec une approche de l’univers comme un phénomène en expansion, approche incompatible avec la définition spatiale de l’infini (d’ailleurs Munier finit aussi par condamner la théorie des Boucles pour son incompatibilité avec sa vision temporelle de l’infini).

On touche là aux difficultés que présente l'appréciation d’une théorie scientifique au regard d’un dogme métaphysique. On sait en effet par ailleurs que la théorie des Cordes dont procède l’hypothèse des «bulles» implique, dans sa version actuelle, que la réalité serait dotée d’un grand nombre de dimensions. Or c’est cela qui pose de sérieuses difficultés, notamment du fait que, comme l’a souligné Penrose récemment (cf. A la Découverte de l’univers, 2007), la pluralité des dimensions est incompatible avec la théorie des twisteurs que celui-ci défend comme une option plus rationnelle d’interprétation du réel (car elle remet en cause la continuité spatio-temporelle qu’il critique d’un point de vue mathématique et qui permet de dépasser diverses contradiction dans le domaine de la physique). En négligeant l’incompatibilité rationnelle de la théorie des Cordes au regard d’autres théories scientifiques, pour n’en apprécier les mérites et les insuffisances qu’au regard de sa métaphysique personnelle, Bruno Munier peut donner l’impression qu’il méprise ouvertement la démarche scientifique et cède ainsi à une facilité «religieuse» qu’il révoquait pourtant au début de son essai.

De la même manière on pourra mettre au compte de sa pente «esthético-religieuse» les résidus d’anthropocentrisme qui émaillent son propos alors pourtant qu’il le récuse dans son intention initiale. Juger les dimensions de l’univers «gigantesques» comme Bruno Munier le fait dans son introduction (p.9) ou placer la nature dans l’ordre de la «merveille» (p.11) et la trouver pleine de «secrets épatants» (p.11), c’est l’apprécier du point de vue de l’homme et, de ce fait, risquer de projeter sur elle une fascination irrationnelle (alors que ce qui est beau dans la nature pour nous ne l’est que parce que nous avons été fonctionnellement adaptés à ses mécanismes dans un processus de co-évolution).

Malgré ces quelques réserves que le livre de Bruno Munier ne manquera pas d’inspirer aux esprits rationalistes, il faut souligner le courage de l’auteur de ne pas céder aux modes spiritualistes ou relativistes en défendant un matérialisme athée intégral.

Reste à se demander cependant si cette responsabilité écologique qui, selon l’auteur, devrait résulter du triomphe de l’athéisme et nous installer dans un sentiment de solidarité avec les autres espèces animales, ne se situe pas au fond aux antipodes de l’intérêt bien compris de notre espèce (et des espèces parasites ou domestiques qui en dépendent). La survie de l’animal humain, son aptitude à résister à des changements climatiques partiellement indépendants de son action, aux mouvements de l’écorce terrestre et à la fin programmée de notre système solaire ne passe-t-elle pas, au contraire, par le maintien d’une surexploitation de la nature dans le but de desserrer notre dépendance à l’égard du temps et de l’espace ? Dans ce cas le conservatisme écologique ne serait qu’une misanthropie qui cacherait son nom, et donc une forme d’hostilité à l’égard des uniques formes de nature vivantes (l’humain et ses partenaires immédiats) à même d’avoir une chance réelle d’échapper aux prochains et inévitables cataclysmes de la planète bleue. Voilà un débat lancé notamment par les transhumanistes auquel le présent ouvrage ne se confronte pas mais qui pourrait utilement prolonger les réflexions développées dans ce livre.


Christophe Colera
( Mis en ligne le 31/01/2011 )
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