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Fait/Valeur : la fin d'un dogme
Hilary Putnam   Fait/Valeur : la fin d'un dogme - et autres essais
Editions de l'Eclat - Tiré à part 2004 /  22 € - 144.1 ffr. / 186 pages
ISBN : 2-84162-095-6
FORMAT : 14x21 cm

Traduit de l'anglais (USA) par Marjorie Caveribière et Jean-Pierre Cometti.

L'auteur du compte rendu: Chercheur au CNRS (Centre d'analyses et de mathématiques sociales - EHESS), Michel Bourdeau a publié divers ouvrages de philosophie de la logique (Pensée symbolique et intuition, PUF; Locus logicus, L'Harmattan) et réédité les conclusions générales du Cours de philosophie positive (Pocket) ainsi que l'Auguste Comte et le positivisime de Stuart Mill (L'Harmattan).

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Après quelques années d'interruption, la collection Tiré à part reprend son petit bonhomme de chemin avec la traduction du dernier ouvrage de Putnam, dont elle avait déjà publié autrefois quelques titres.

Successeur de Quine à Harvard, l'auteur compte parmi les meilleurs philosophes américains d'aujourd'hui. Depuis plus de vingt ans, il explore avec persévérance ce qui a tout l'air d'être la voie la plus prometteuse pour sortir des impasses où s'était enfermé le néopositivisme. Comme Richard Rorty, mais sur des bases fort différentes, il propose de renouer avec le pragmatisme qu'avaient illustré Peirce, James ou plus récemment John Dewey. Contre le naturalisme ambiant qui se réclame, bien à tort, de la science, il avait montré, il y a quelque temps déjà, pourquoi on ne peut pas naturaliser la raison. Cette fois, il s'en prend à une dichotomie qui a eu, estime-t-il, des conséquences désastreuses, comme chez ces économistes qui se flattaient d'avoir éliminé toute métaphysique et acceptaient sans réserves la métaphysique du positivisme logique. Qu'il soit utile et même souvent nécessaire de distinguer entre fait et valeur, nul ne le contestera. Mais dichotomie n'est pas distinction et cela n'autorise pas à ériger entre eux une frontière infranchissable.

La première partie de l'ouvrage, L'effondrement de la dichotomie fait/valeur, reprend le texte de conférences prononcées en l'an 2000 devant un public de juristes. Il y a cinquante ans, Quine avait dénoncé dans la distinction de l'analytique et du synthétique un "dogme de l'empirisme". Aujourd'hui, Putnam s'en prend à un autre dogme, dont Hume a fourni une formulation classique, lorsqu'il déclarait impossible de dériver devoir de être. La dichotomie mise en cause concerne cette fois les sciences sociales, où elle sert à dissimuler une thèse : la morale ne se rapporte pas à des faits. Mais les néopositivistes ont été contraints de modifier leur concept de fait, et ont, ce faisant, ruiné les fondements de la dichotomie.

Le second chapitre s'en prend alors à la théorie "non-cognitiviste", qui, de la première thèse, conclut que les jugements de valeur n'ont aucun contenu cognitif. Dans nos propos les plus usuels, fait et valeur sont constamment enchevêtrés et des mots comme cruel ou courageux montrent combien il est difficile en pratique de dissocier le descriptif du normatif.

Le dernier chapitre présente les vues d'Amartya Sen, universitaire indien qui s'est vu décerner le prix Nobel d'économie pour avoir critiqué un certain nombre de principes de l'économie politique néo-classique, comme l'indépendance de l'économie à l'égard de la morale, ou l'idée que le comportement égoïste serait le seul rationnel, principes dont il a montré en particulier que c'est bien à tort qu'ils étaient attribués à Adam Smith.

Une seconde partie, Raisonnement et valeur, rassemble ensuite cinq essais récents qui développent ou complètent les idées exposées à l'instant. Les deux premiers relèvent de la théorie économique : l'un traite des débuts prescriptivistes d'A. Sen, l'autre, de la rationalité des préférences c'est-à-dire, en l'occurrence, de certains présupposés de la théorie mathématique de la décision. Par le biais de discussion avec Dewey, Rorty ou Habermas, les deux suivants interrogent le fondement de la morale. Le dernier, pour une bonne part autobiographique, décrit la façon dont, après 1945, la distinction fait/valeur a été mise à l'écart en philosophie des sciences. “Mes professeurs pragmatistes avaient raison, conclut Putnam : la connaissance des faits présuppose la connaissance des valeurs”.

Le retour en force de la morale constitue à coup sûr un des phénomènes majeurs des vingt dernières années, — dans le monde des idées, à tout le moins car, au même moment, la vie réelle est ouvertement abandonnée au règne de la concurrence et du chacun pour soi. Ce serait une erreur de croire que la demande de morale se limite à la bioéthique et l'ouvrage de Putnam montre bien comment elle atteint l'ensemble des sciences sociales. Dans les valeurs, les néo-positivistes ne voulaient voir que l'expression de la subjectivité, autant dire de l'arbitraire ; c'est pourquoi ils les avaient exclues de l'univers de la science. Entre autres inconvénients, une telle position rend impossible toute discussion rationnelle à leur propos. Mais elle souffre surtout d'une grave inconséquence. Elle a le tort d'identifier valeur et valeur morale. Or la marche de la science, par exemple, présuppose elle aussi des valeurs, qu'on appellera pour cette raison épistémiques. Le savant ne se contente pas de formuler des théories, il doit aussi les départager. L'accord avec les faits ne suffit pas toujours et pour choisir entre deux hypothèses rivales, le savant tiendra également compte de leur simplicité respective, de la façon dont elles s'accordent ou non avec d'autres théories déjà établies. Or que sont les critères dont il se sert alors, sinon des valeurs ? De l'abandon de la dichotomie fait/valeur, les théories économiques du bien-être (wellfare) ou de la rationalité ne sont pas les seules à sortir transformées. Le point de vue adopté invite à porter un nouveau regard sur le concept de subjectivité, qu'il faut cesser de considérer comme un concept poubelle; il invite également à donner plus d'extension à l'idée, à première vue surprenante, d'objectivité sans objet dont les vérités logico-mathématiques nous avaient fourni un premier exemple.

L'auteur n'est pas connu pour composer avec soin ses ouvrages, ce qui n'a pas facilité la tâche des traducteurs. Il serait cependant regrettable de se laisser arrêter par ces négligences formelles. Les livres de Putnam laissent rarement indifférents et l'on ne peut que recommander celui-ci à ceux qui s'intéressent aux débats actuels sur les valeurs.


Michel Bourdeau
( Mis en ligne le 22/04/2005 )
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