L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Philosophie  ->  

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Philosophie  
 

Un des plus grands philosophes de la seconde moitié du XXe siècle
Willard Van Orman Quine   Philosophie de la logique - & Relativité de l’ontologie et autres essais
Aubier - Philosophie 2008 /  20 € - 131 ffr. / 158 pages
ISBN : 978-2-7007-0147-0
FORMAT : 13,5cm x 22,0cm

Voir aussi:
Willard Van Orman Quine, Relativité de l’ontologie et autres essais, Aubier (Philosophie), Février 2008, 187p., 20 €, ISBN : 978-2-7007-0172-2.

Traductions de Jean Largeault.

L'auteur du compte rendu: Chercheur au CNRS (Centre d'analyses et de mathématiques sociales - EHESS), Michel Bourdeau a publié divers ouvrages de philosophie de la logique (Pensée symbolique et intuition, PUF; Locus logicus, L'Harmattan) et réédité les conclusions générales du Cours de philosophie positive (Pocket) ainsi que l'Auguste Comte et le positivisime de Stuart Mill (L'Harmattan).

Imprimer

La logique, l’ontologie : les titres des deux volumes qui viennent d’être réédités situent d’emblée au cœur de la pensée du philosophe nord-américain Willard van Orman Quine (1908-2000).

Celui-ci avait en effet choisi de philosopher «d’un point de vue logique» (c’est le titre de son premier ouvrage à caractère ouvertement philosophique). La logique n’est pas seulement une discipline, c’est aussi un point de vue, et le domaine auquel elle donne accès n’est autre que l’ontologie, rendue enfin respectable (mise à l’abri des objections de ses adversaires) grâce précisément à la logique. Autant dire qu’il s’agit de deux livres majeurs. Publiés tous deux en 1969, ils appartiennent à ce qui est sans doute la période la plus féconde de leur auteur et furent rapidement traduits en français (1975 et 1977) par Jean Largeault, à qui tous les philosophes logiciens doivent être reconnaissants pour son travail de pionnier. Pour qui voudrait découvrir la pensée de Quine, il n’y a peut-être pas de meilleur choix. «Parler d’objets», l’essai qui ouvre le second volume, est un véritable petit chef-d’œuvre, qui dispenserait presque de la lecture de Word and Object. Quant à la «philosophie de la logique», l’art avec lequel le maître de Harvard y parle en langage simple et presque amusant des questions les plus arides force l’admiration. Laissant donc au lecteur le soin de découvrir par lui même la vertu roborative de ces pages, interrogeons-nous à la place, quarante ans après leur publication, sur ce que nous devons à Quine.

Il y a peu de risque de se tromper en affirmant qu’il restera comme un des plus grands philosophes de la seconde moitié du vingtième siècle. A l’instar de W. James cinquante ans plus tôt, il s’est vite acquis une renommée internationale, montrant à ceux, un temps légion, qui le mettaient en doute, que la philosophie pouvait très bien s’acclimater sur le sol nord-américain. Bien plus, tout se passe comme si, avec lui, le centre de l’activité philosophique s’était déplacé vers les USA. Alors que les deux maîtres qu’il se reconnaissait, Russell et Carnap, étaient européens, les philosophes européens auraient plutôt tendance aujourd’hui à chercher leurs maîtres de l’autre côté de l’Atlantique. D’un tel déplacement, il a été le principal artisan, et c’est ce qui fait de lui le philosophe le plus influent de sa génération, Strawson ou Austin, ses contemporains, ne pouvant lui être comparés à cet égard. En ce sens, d’une façon ou d’une autre, nous lui devons tous quelque chose, et c’est pourquoi il importe tant de le lire.

Et pourtant, préciser cette dette dans le détail est loin d’être facile. A lire ces deux volumes, ce qui frappe d’abord, c’est la distance qui s’est creusée avec les années et, rétrospectivement, Quine apparaîtrait presque comme le champion des causes perdues. Le cas le plus clair est celui des logiques modales. A partir de 1943, il a consacré une bonne partie de son activité à convaincre la communauté philosophique que celles-ci étaient nées dans le péché, et qu’il n’y avait pas de place pour les modalités en logique. Tous ses efforts n’ont pourtant pas empêché le triomphe de la sémantique des mondes possibles et personne aujourd’hui ne se soucie plus de ce genre d’interdit.

L’ontologie fournit un exemple différent mais tout aussi caractéristique. Quel plus beau triomphe que celui de Quine dans le débat qui l’opposait sur ce point à Carnap, dira-t-on ! N’est-ce pas à lui que les philosophes analytiques doivent de pouvoir pratiquer l’ontologie sans la moindre arrière pensée ? Sans doute, mais il n’est pas sûr que l’intéressé aurait donné son aval à ce qui circule aujourd’hui sous ce nom. C’est parce que la logique nous fournissait un critère clair pour y répondre que les questions ontologiques prenaient enfin un sens et que les objections formulées par Carnap tombaient ; et pour appliquer ce critère, il fallait commencer par traduire nos connaissances dans le langage austère de la logique. Faute de satisfaire à ces deux conditions, le projet de Quine était vidé de toute substance. Or, de cela, plus personne une fois encore ne se soucie. Voilà comment l’ontologie est aujourd’hui quinienne à peu près comme elle était heidegerienne il y a une génération. La facilité avec laquelle la notion a pu ainsi passer d’un bord à l’autre a de quoi éveiller les soupçons : le terme a tout l’air de fonctionner comme un pavillon de complaisance, servant à mettre en circulation les marchandises les plus diverses. Certes, Quine ouvrait des portes ; mais, derrière, il prenait soin d’en verrouiller solidement plusieurs autres. Pour ne pas en avoir tenu compte, on a fait de l’ontologie une cause qu’il aurait peut-être mieux valu ne pas avoir gagnée.

Il en va encore de même dans le cas du naturalisme aujourd’hui dominant. Certes «l’épistémologie naturalisée», qui forme le chapitre trois du second volume, a largement contribué à la diffusion d’un courant auquel se rattachent les sciences cognitives. Mais, si les membres du Cercle de Vienne n’employaient pas le mot, leurs efforts allaient déjà dans le même sens, et ce qui est plutôt nouveau avec Quine, c’est le retour de l’«épistémologie» (au sens anglais de théorie de la connaissance, et non de philosophie des sciences, ce qui était jusqu’il y a peu le seul sens en français), la théorie de la connaissance ayant en effet vite été bannie par les Viennois au profit de la seule philosophie des sciences. En proposant de réhabiliter le point de vue traditionnel, l’article de 1968 préparait le renouveau de la philosophie de l’esprit et «naturalisée» n’est là que pour indiquer le renoncement à la philosophie première et à la recherche cartésienne d’un fondement inébranlable. Pour autant, faire de Quine le précurseur des sciences cognitives serait aller vite en besogne. Ce serait en particulier oublier son indéfectible attachement au behaviorisme skinnerien. Pour asseoir leur prétention à la scientificité, les sciences cognitives font largement appel aux neuro-sciences et l’on voit mal comment ceci est conciliable avec l’interdiction d’ouvrir la boite noire. Le vrai parrain des sciences cognitives n’est pas Quine, dont l’anti-mentalisme ne souffre aucune compromission, mais le champion du mentalisme, Chomsky, dont le premier a vite condamné les prises de positions philosophiques.

Avec le recul du temps, Quine apparaît comme un point d’aboutissement beaucoup plus que comme un point de départ. Il est le dernier représentant d’une lignée commencée avec Frege et qui passe par Russell et Carnap. Tous les quatre sont unis dans une même conviction : s’il est vrai que la logique est pour un philosophe un organon, un outil, alors la création de la logique moderne représente un événement majeur, qu’il faut mettre à profit. Idéographie, syntaxe logique, langage de la science unifiée, notation canonique : dans tous les cas, la logique devait permettre au philosophe de confectionner un langage idéal d’où les multiples imperfections des langues vernaculaires auraient disparu et qui ne mettrait donc aucun obstacle à l’expression d’une pensée rigoureuse. Ce projet grandiose a été abandonné et la raison d’être philosophique de la logique est redevenue problématique. Comme la grammaire, dont elle est en quelque sorte le prolongement, c’est une discipline ingrate. Ainsi que l’indique l’étymologie, elle procède d’une réflexion sur le langage. Or, rien n’est aussi peu naturel que de considérer celui-ci pour lui-même. Le mot est là pour désigner la chose et le prendre comme objet revient donc, quelque part, à en méconnaître la nature. Quand il présente la définition tarskienne de la vérité, Quine insiste sur la «décitation» : après la «montée sémantique» (parler du langage), il faut bien en revenir au réel, aux faits qui rendent vrai ce que nous disons. Mais, à un moment ou à un autre, il faut en passer par ce détour.

Voilà pourquoi il n’y a pas de cursus philosophique sans logique ; voilà aussi pourquoi il faut souhaiter que les philosophes continuent encore longtemps à lire Quine.


Michel Bourdeau
( Mis en ligne le 22/05/2008 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd