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Philosophie  
 

Une autre alternative pour l'homme dans son rapport à la Technique
Gilbert Simondon   L'Individuation psychique et collective
Aubier - Philosophie 2007 /  22 € - 144.1 ffr. / 293 pages
ISBN : 978-2-7007-1890-4
FORMAT : 13,5cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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L’œuvre du philosophe Gilbert Simondon (1924-1989) est sous-estimée. Il est vrai qu'elle n'est pas simple à aborder : c'est une pensée de la totalité, complexe et dense. La majorité des lecteurs ne connaît que Du mode d’existence des objets techniques mais Simondon est aussi l'auteur de L'Individuation à la lumière des notions de formes et d'information, La Perception de longue durée (Journal de psychologie, 1969-1970), Deux leçons sur l'animal et l'homme, L'invention dans les techniques (Cours et conférences) ou encore Cours sur la perception (1964-1965). Professeur des Universités à Poitiers puis à Paris, Gilbert Simondon a acquis une importance grandissante. Son œuvre a influencé des auteurs tels que Jean Baudrillard (Le Système des objets), Georges Friedmann (La Puissance et la sagesse), Abraham Moles (Théories des objets) ainsi que Gilles Deleuze (L’Image et le mouvement) et Bernard Stiegler (La Technique et le temps) même si ceux-ci ont bifurqué vers d'autres chemins. Les concepts principaux qu'il expose dans sa thèse d'État sont l'individuation et la transduction. Né à Saint-Etienne, Gilbert Simondon eut tôt l’occasion de fréquenter le milieu industriel, de s’intéresser à l’invention scientifique. Ceci explique sans doute en grande partie l'orientation de son oeuvre.

La question de la technique est en effet centrale chez Simondon. Dans Du mode d’existence des objets techniques, il se montre moins "pessimiste" qu'un Heidegger, ce dernier faisant de notre époque technique l'ère de la métaphysique achevée. Chez Heidegger, l'essence de la technique (qui n'a rien de technique) s'opère à travers le concept d'Arraisonnement (Gestell) qui met le monde entier à la disposition de l'homme, faisant oublier la question de l'Etre. Pour Simodon, l'homme n'est pas aliéné par la machine mais par son ignorance de la machine. Il écrit dans Du mode d'existence des objets techniques : "L'opposition dressée entre la culture et la technique, entre l'homme et la machine, est fausse et sans fondement ; elle ne recouvre qu'ignorance ou ressentiment. Elle masque derrière un facile humanisme une réalité riche en efforts humains et en forces naturelles, et qui constitue le monde des objets techniques, médiateurs entre la nature et l'homme. La culture se conduit envers l'objet technique comme l'homme envers l'étranger quand il se laisse emporter par la xénophobie primitive." La question reste ouverte concernant de nos jours les techno-sciences, les nano-technologies, etc...

Dans un avertissement, l'éditeur François Laruelle nous explique qu'il publie ici la seconde partie inédite de la thèse principale du philosophe. La première avait été publiée seule sous le titre L'Individu et sa genèse physico-biologique (PUF, 1964, collection "Epiméthée"). Il a été ajouté ici une introduction qui comprend deux parties afin de rendre le texte intelligible. La première est l'introduction générale de la thèse et la seconde, une conférence faite à la Société française de philosophie (Pour la publication des deux parties, se reporter à L'Individuation à la lumière des notions de forme et d'information, paru aux éditions Jérôme Millon).

Dans L'Individuation psychique et collective, Simondon interroge surtout son concept-clé : l'individuation et son antériorité sur l'individu qui n'est qu'une phase dans un processus pré-individuel. Sur le plan philosophique, l'individuation désigne le processus d'organisation qui détermine la réalisation d'une forme individuelle complète et achevée. Simondon pose l'hypothèse que l'homme et le monde constituent un système ; la notion d'individuation soulignerait le devenir de ce système par la résolution de tensions.

"L'individu vivant est système d'individuation, système individuant et système s'individuant", écrit-il. Pour Simondon, il faut saisir l'être individué à partir de l'individuation, et l'individuation à partir de l'être pré-individuel. Il écrit encore : "Le principe d'individuation sera recherché comme un principe susceptible de rendre compte des caractères de l'individu, sans relation nécessaire avec d'autres aspects de son être qui pourraient être corrélatifs de l'apparition d'un réel individué". L'individuation a donc un principe à sa base. Pour Simondon, rechercher ce principe d'individuation est en réalité rechercher une réalité qui précède l'individuation même : c'est considérer l'individuation comme une ontogénèse.

Le livre se découpe en trois parties : la première s'intéresse plus particulièrement à l'individuation psychique, s'interrogeant en plusieurs chapitres denses sur les unités perceptives et la signification, l'individuation et l'affectivité ainsi que sur la problématique entre l'ontogénèse et l'individuation psychique ; la seconde partie s'occupe plus largement des fondements du transindividuel et de l'individuation avec de larges chapitres consacrés à la réalité sociale, à la notion d'individu de groupe, d'individuation de groupe puis entre autres à la différence entre sujet et individu ; la troisième, enfin, prolonge la réflexion concernant les conséquences de la notion d'individuation dans le domaine des valeurs et de la recherche d'objectivité ou de l'individuation et de l'invention technique.

Cependant, la conception de l'information de Simondon pose problème car elle semble complètement énergétique et réduit l'individuation à l'immanence d'une pré-individualité. En cela, elle est proche du vitalisme pulsionnel d'un Deleuze avec son concept de Rhizome, totalement opposé évidemment à une construction transcendantale de l'individu notamment à travers le langage et ses représentations. Simondon paraît ignorer des dimensions évidentes de l'individuation comme l'apprentissage, l'invention, le dialogue, les identifications, ou l'intersubjectivité. L'individuation est, semble-t-il pour lui, un processus proche du développement d'une fougère que de la construction de soi d'un esprit. Trop grande influence de la théorie de l'information ou de la cybernétique ? La réduction de la vie, de la société et de l'individu à une banale physique est assez troublante même si pour Simondon la technique doit être vue comme une médiation d’homme à homme ou d’homme à nature plutôt qu’un outil au service d’une idéologie politique, sociale ou économique.

En résumé, Simondon offre la particularité de repenser le clivage du sujet et de l’objet, embrassant dans une même problématique les relations entre l’individu technique et l’individu vivant. Ces écrits engagent la philosophie dans des directions nouvelles en repensant le rapport de l’homme à la technique, du vivant au non-vivant. Un individu n'existe pas sans un milieu qui résulte en même temps que lui de l'opération d'individuation qui est son complément. L'individuation ne fait pas que produire l'individu, elle produit un milieu associé, nécessaire au développement de ce même individu.

Il serait fort complexe et trop long de discuter les concepts que Simondon critique (l'hylémorphisme aristotélicien) ou établit (la transduction, la métastabilité). Ou même celui de transindividualité qui donne la compréhension du collectif, où le sujet ne précède pas le groupe ni l’inverse. La formation psychique de l’individu est un processus, une tension dans une relation avec un environnement social et technique qui lui préexiste, et tel que l’individuation psychique se traduit toujours par une individuation collective.

Si l'ouvrage demande une lecture soutenue et d'être familier déjà avec la pensée de Simondon (comme avec celle de Heidegger), on voit bien en tout cas qu’il se noue autour du sujet de la technique des questions cruciales pour notre rapport au savoir et le devenir de notre monde.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 25/06/2008 )
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