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L'ère de l'information de Manuel Castells
Manuel Castells   L'Ere de l'information
Fayard 1999 / 

- Tome I: La Société en réseaux,
Ed Fayard, 613p 1998
- Tome II: Le Pouvoir de l'identité,
Ed Fayard, 495p 1999
- Tome III: Fin de millénaire,
Ed Fayard, 480p 1999

Traduit de l'anglais par MM. P. Delamare, P. Chemla
et J-P. Bardos

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Il manquait à la société de l'information son ouvrage de référence, c'est désormais chose faite avec L'ère de l'information du sociologue Manuel Castells. Ce triple ouvrage qui a nécessité quatorze années de recherches constitue en quelque sorte le chaînon manquant dans l'abondante production intellectuelle sur les rapports entre technologies et sociétés.

En effet, cette réflexion ne se concentre pas sur les seuls aspects économiques, culturels ou technologiques, mais embrasse la totalité des champs qui seront transformés par les réseaux. Manuel Castells remet en cause par son étonnante érudition technologique l'idée reçue qui veut que seuls les «techno-scientifiques» puissent théoriser les évolutions prochaines des réseaux. Cette érudition M. Castells la doit aussi à la proximité de l'université Berkeley, où il enseigne, avec la Silicon Valley. Il rappelle d'ailleurs qu'avant d'être une pépinière d'entreprises la Silicon Valley est la preuve de l'importance d'une université (celle de Stanford) dans le processus de création des innovations technologiques.

«Pour la première fois dans l'histoire, le cerveau humain devient une force de production directe»
Le thème central qu'aborde le premier tome La Société en réseaux est l'influence des réseaux sur l'ensemble des structures économiques, sociales et politiques. Dans le domaine économique la conséquence majeure des technologies de l'information sera leur capacité à changer en profondeur le système de production: Pour Manuel Castells c'est l'individualisation des moyens de production qui constitue le levier le plus puissant sur nos économies(1). Avec ces réseaux, «Pour la première fois dans l'histoire, le cerveau humain devient une force de production directe».

Manuel Castells, en spécialiste de la sociologie urbaine, nous décrit un nouveau rapport à l'espace, qui verra se rapprocher par les réseaux les individus les groupes voire les régions entières dans ce qu'il appelle «l'espace des flux». Mais les réseaux vont aussi modifier notre rapport au temps, accompagnés en cela par les biotechnologies et leurs vertigineuses conséquences.

À l'opposé du pessimisme convenu des cyberpoliticiens du pire le sociologue Manuel Castells nous livre une réflexion lucide et remarquablement documentée. Ainsi au risque politique de la surinformation des citoyens-internautes, Castells répond qu'il est un argument à bon marché des «Neoluddites» et qu'en fait dans des sociétés qui conservent encore de larges pans d'illettrisme, diffuser l'information reste une priorité démocratique. Le véritable enjeu réside dans la maîtrise de ces informations, et Manuel Castells, lorsqu'il conseillait la Commission Européenne, préconisait déjà une vaste campagne d'alphabétisation pour combattre l'«illectronisme» en Europe. Les nouveaux médias participent aussi au changement du rapport à la chose politique, là ou Mac Luhan se concentrait sur l'analyse des médias, Castells lui nous montre que le principal lieu du politique devient le media lui-même et qu'on ne peut «répondre politiquement à un media».

Une des innovations de ce livre vient aussi du fait qu'il intègre les évolutions technologiques (y compris les plus récentes) dans la sphère d'influence des cultures. C'est le cas de ce que Manuel Castells appelle la «virtualité réelle» qui verra se fondre en un même espace symbolique l'ensemble des ressources connectées à l'Internet. Cet espace devenant à terme le lieu privilégié de la création artistique. Pour s'en convaincre il suffit de lire l'excellent ouvrage de Janet Murray, Hamlet on the Holodeck paru au MIT Press (et qui mériterait lui aussi une traduction) sur les rapports entre création littéraire et cyberespace.

Une véritable réflexion mondiale
Après avoir étudié les changements qu'induisent les réseaux , Le pouvoir de l'identité se concentre sur les rapport entre les individus et les structures sociales et politiques. Dans ce second volet, Manuel Castells évalue aussi les changements dans la construction des identités religieuses, sexuelles et culturelles, ainsi que la remise en question parfois brutale des structures patriarcales traditionnelles. Les difficultés qu'auront les Etats à la fois pour utiliser ces technologies et pour en maîtriser les évolutions donnent à Manuel Castells l'occasion de décrire dans un chapitre au titre évocateur «L'Etat impuissant?», le déclin de la souveraineté des états-nations. Leur pouvoir de contrôle étant remis en cause par les réseaux, en particulier celui de contrôler les flux d'informations, qui pour l'auteur représente la pierre angulaire du pouvoir d'Etat.

Le troisième ouvrage Fin de millénaire se veut la synthèse de ce travail. Le chapitre sur l'Europe est celui d'un expert, en effet Manuel Castells espagnol d'origine catalane a enseigné en France et occupe aujourd'hui la chaire d'études européennes à Berkeley. Au passage on notera sa vision des motivations qui ont prévalu à la construction européenne, motivations qu'il juge essentiellement défensives.

À la différence de la plupart des ouvrages parus sur ces sujets qui se contentent d'étudier les Etats-unis ou l'Europe, celui de M. Castells offre une véritable réflexion mondiale. Ainsi la description des conséquences des technologies de l'information sur les pays du Sud montre qu'elles ne leur seront utiles que si une véritable volonté politique se manifeste. En l'absence de cette prise de conscience, le «sociologue empiriste» comme il se décrit souvent, nous dépeint un tableau où l'on verra des entreprises indifférentes diffuser ces technologies auprès des seules élites des pays en voie de développement et conduire ainsi à des écarts inquiétants. Ainsi le chapitre consacré à l'économie criminelle nous offre une vision douloureusement lucide des économies mafieuses en réseau et souligne qu'elles auront un rôle crucial lors du prochain siècle. Une autre ombre dans un tableau que les techno-optimistes imaginent serein se situe dans l'écart croissant entre notre sur-développement technologique et notre sous-développement social.

C'est déjà un travail très concis
Plus qu'un livre de stratégies (2) pour aborder la société de l'information, L'ère de l'information se veut un éclairage sur les évolutions auxquelles nous assistons. La conclusion est que (contrairement à ce que d'aucuns prédisent) il n'existe pas de déterminisme face aux changements qu'introduisent les réseaux dans nos sociétés. L'auteur y rappelle avec une rare modestie qu'à chaque fois qu'un intellectuel s'est mis en tête de dire quelles actions devaient être menées une catastrophe s'en est suivie.Au journaliste du Wall Street Journal qui faisait état du caractère imposant de ce triple ouvrage Manuel Castells répondait en toute modestie: «c'est déjà un travail très concis». Mais aussi, et cela l'auteur ne le dira pas, une lecture indispensable à tous.



(1) L'auteur confiait lors d'un récent passage à Paris qu'il prépare un addendum à La Société en réseaux à paraître prochainement, plus particulièrement consacré aux aspects économiques des réseaux.

(2) Il est à noter que l'ouvrage Information Rules de l'un des collègues de Manuel Castells à Berkeley, Hal Varian, vient d'être traduit en français sous le titre Economie de l'information, guide stratégique de l'économie des réseaux aux editions De Boeck Université.


Bernard Benhamou
( Mis en ligne le 25/09/2000 )
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