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| Yves Christen L’Animal est-il une personne ? Flammarion 2009 / 24 € - 157.2 ffr. / 537 pages ISBN : 978-2-08-122487-2 FORMAT : 15cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Alain Romestaing est maître de conférences en Littérature française à lIUT Paris Descartes. Il est membre de léquipe de recherche EA 4400 «Écritures de la modernité» de lUniversité Sorbonne Nouvelle-Paris 3, au sein de laquelle il travaille notamment sur les problématiques littéraires du corps, sur luvre de Jean Giono (Jean Giono. Le corps à luvre, Honoré Champion, 2009) et sur lanimalité (équipe du programme transversal de recherches : «Animalittérature»). Imprimer
Yves Christen est à la fois un scientifique (biologiste spécialisé dans les domaines de la génétique et des neurosciences) et un vulgarisateur (il a été rédacteur en chef de la revue La Recherche et responsable de la rubrique scientifique du Figaro Magazine). Il a en outre introduit en France la sociobiologie (LHeure de la sociobiologie, Albin Michel, 1979). Enfin, il sest également fait connaître pour son intérêt à la fois scientifique et affectif pour des léopards dans Le Peuple léopard. Tugwaan et les siens (Michalon, 2000).
Toutes ces caractéristiques nourrissent son dernier ouvrage, LAnimal est-il une personne ?, qui est une somme passionnée et passionnante sur létat des connaissances scientifiques (éthologie, génétique, neurosciences, primatologie, zoologie
) concernant des qualités découvertes chez les animaux (léopards donc, mais aussi éléphants ou baleines, araignées sauteuses ou labres nettoyeurs, chimpanzés, bonobos, gorilles, chiens, chèvres, corbeaux
) alors même quelles ont été ou sont encore désignées comme des «propres» de lhomme. Lauteur opère donc une vaste récapitulation des données concernant ce qui est censé faire défaut aux animaux (la deuxième partie énumère ces supposés manques : de raison, de socialité, démotion, de langage, de «théorie de lesprit» c'est-à-dire de laptitude de se mettre mentalement à la place dun autre, de culture...) ou ce que les humains sont censés avoir en plus (la troisième partie sattaque à lanthropocentrisme et à lidée dune supériorité génétique, cérébrale, ou en matière de liberté, de droits).
Cette double récapitulation est encadrée par une première partie en guise dintroduction (à moins que celle-ci ne se réduise au très court prologue sur lambivalence du mot «personne» entre «autoglorification» et «insignifiance») et une dernière partie synthétisant les apports des études précédemment décrites pour (continuer de) répondre à la question de louvrage telle quelle est modulée par le prologue : «personne ou personne ?» La problématique nest donc pas très rigoureusement définie, au prétexte que lauteur «confesse un bien piètre goût pour les discussions sans fin sur» le sens précis du mot «personne» ! Citant le biologiste moléculaire Francis Crick, Yves Christen pense quon «ne gagne pas de bataille en débattant à perte de vue sur ce quon entend par le mot bataille» (pp.19-20). Cest là quasiment une clé méthodologique : de laction et des faits ! Si la première partie dit clairement ce que lauteur entend par «personne animale», elle insiste surtout sur le constat dune nouvelle attitude à la fois scientifique et populaire par rapport aux animaux, se caractérisant par une plus grande sensibilité, voire par de lamour (p.17), et sur lenjeu intellectuel de ce changement : «la relation à ces autres vivants mérite de nouvelles analyses, qui les prennent en compte en tant que sujets» (p.19). De même, les enjeux éthiques précis concernant la reconnaissance du statut de personne animale seront régulièrement abordés et développés, notamment à propos de lexpérimentation sur les animaux ou de leurs droits
En dautres termes, le titre de louvrage est une interrogation oratoire plus quune question soulevant une problématique : Yves Christen répond par laffirmative dès le début. Lobjet du livre est bien davantage de montrer comment «lapproche scientifique et expérimentale», notamment de ces dernières années, «semble ruiner labsurde vision de linsignifiance de la bête» (prologue). À partir de là, le livre est en effet un impressionnant recensement des observations, expérimentations, découvertes permettant de dépasser la pauvreté de la notion dinstinct quand on parle des comportements animaux, recensement dont se dégagent les positions épistémologiques actuelles, les polémiques, et même certains changements dans les a priori des scientifiques : lauteur, en historien des sciences, fait malicieusement remarquer que les expérimentateurs toujours soucieux de se démarquer du sens commun découvrent que les animaux nous comprennent, mais avec une réticence telle qu«on se demande si certains expérimentateurs daujourdhui [
] nauraient pas a priori tendance à favoriser lhypothèse dune compétence mathématique plutôt que celle dune captation de la pensée dautrui» (p.183) !
Ce genre de remarque fondée sur une connaissance à la fois intellectuelle et concrète du monde scientifique fait souvent le sel dun essai au ton très personnel : lauteur nhésite pas à nous présenter des personnes, quil sagisse dévoquer le divorce dun couple de chercheurs et du changement consécutif de leurs objets de recherche (p.112) ou de plaisanter sur lapparence dun collègue («Sapolsky est un drôle de chercheur. Allure de hippie de la bonne époque, mais rien à voir avec un marginal. Il enseigne à Stanford [
]», p.265). De même, il racontera son vécu, ses rencontres, sa position par rapport aux animaux («faire une personne [de la bête] ne revient pas à la considérer comme une personne humaine», p.410) ou par rapport à lexpérimentation animale (on ne peut y renoncer mais il faut la soumettre à linconfort dune réflexion éthique «en situation complexe», p.411). Enfin il expose sa conviction intime, «contre lavis de la plupart des spécialistes», «que la théorie de lesprit comme la conscience doivent être largement répandues dans le monde vivant» (p.179).
Cette dimension personnelle du livre et la conscience de «lévolution de notre sensibilité et de nos représentations médiatisées de lanimal» auraient pu permettre, cependant, plus de compréhension sur les certitudes anciennes, fussent-elles philosophiques et fondées sur un humanisme ayant «placé lhomme sur un piédestal en vertu de lignorance des époques passées» (p.412). Descartes en effet, coupable davoir réduit lanimal à une machine (et bien quil ait contribué à fonder la démarche scientifique moderne au nom de laquelle Yves Christen le condamne), en prend pour son grade, ainsi que nombre de philosophes de la singularité humaine, de Heidegger à Luc Ferry. De manière plus générale, il est dommage que les sciences humaines soient négligées, notamment quand il sagit de se poser la question de la vie sociale des animaux (chap. 5), lauteur réduisant le débat sur la question à ce quil présente comme un dialogue de sourds entre lui et Antoine Spire sur France Culture (p.80). On peut sétonner notamment de labsence de toute référence au travail de Jean-Marie Schaeffer (La Fin de lexception humaine, Gallimard, 2007) dont le discours critique concernant la thèse de la singularité de lêtre humain prévalant encore dans les sciences humaines émane donc de ces mêmes sciences humaines et rencontre bien des analyses dYves Christen ! Mais ce dernier, répugnant, comme on la vu, «aux discussions sans fin», préfère par tempérament et par formation sappuyer sur des «savoirs certes encore fragmentaires, mais objectifs», reposant sur «des découvertes empiriques menées dans la nature et en laboratoire» (p.412).
On ne saurait trop lui en vouloir, ces savoirs étant présentés avec clarté, précision et vivacité et mis en perspective aussi bien par rapport à lhistoire des sciences de lanimal que par rapport au futur : de façon assez surprenante (et peut-être un peu contre-productive du point de vue de largumentation en faveur de la personne animale), Yves Christen établit un court rapprochement final entre «le mouvement de personnalisation» concernant les animaux et lautonomisation des robots conçus selon le «modèle des vivants fabriqués par la sélection naturelle» (p.408). Il se projette même dans le dernier chapitre en pleine science-fiction. Lexpérience du Néerlandais Willie Smits qui a mis des Webcams à la disposition des grands singes dont il soccupe conduit en effet lauteur à imaginer que «demain tous les orangs du monde [
] se trouvent interconnectés et échangent des idées» (p.413). Alors, on ne pourra plus douter «quil faille les traiter comme des personnes» ! Mais alors, il ne sagit plus dobjectivité scientifique : «à force de [
] pousser [cette «grosse pierre au sommet dune colline» que sont le livre de Christen et linitiative de Willie Smits], à coup sûr elle va dégringoler la pente. Nul ne sait où elle aboutira, mais quelque chose va se passer quil ne sera pas possible dinterrompre» (p.414).
Peut-être nest-il pas si mal que des philosophes, des sociologues, des écrivains ou des psychologues continuent de penser la singularité de la personne humaine aussi bien que celle de la personne animale
Alain Romestaing ( Mis en ligne le 22/07/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Figures animales de Annie Duprat , Collectif La Fin de l'exception humaine de Jean-Marie Schaeffer | | |
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