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| Bernard Pourprix La fécondité des erreurs - Histoire des idées dynamiques en physique au XIXe siècle Presses universitaires du Septentrion - Les savoirs mieux 2003 / 13.50 € - 88.43 ffr. / 187 pages ISBN : 2-85939-794-9 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu: Docteur en astrophysique, Thomas Lepeltier enseigne actuellement à l'Université de Newcastle (Grande Bretagne) et collabore régulièrement au journal Sciences Humaines.
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En ce qui concerne lhistoire de la physique, la fin du XIXe siècle est souvent dépeinte comme une période assez terne. Il ny aurait rien de vraiment excitant à raconter à propos des physiciens de lépoque, occupés quils étaient à sagement peaufiner la vision déterministe et mécanique du monde héritée de Newton. Il est vrai que le chimiste Marcellin Berthelot affirmait alors que le monde était désormais sans mystère. Et le physicien Albert Michelson nhésitait pas non plus à prétendre que les grands principes de la physique étaient fermement établis. Preuves sil en est de contentement et de suffisance. Pas besoin dautres témoignages en tout cas pour que certains historiens aient avancé un peu hâtivement que les physiciens de lépoque nétaient pas préparés aux bouleversements qui allaient apparaître à la toute fin du siècle (la découverte des rayons X, de lélectron et de la radioactivité) et au début du suivant (lintroduction dun quantum daction par Planck et linvention de la relativité par Einstein).
Lhistoire racontée de cette manière est certes captivante puisquelle fait intervenir une sorte de coup de théâtre qui sépare le morne et triste XIXe siècle du riche et passionnant XXe siècle. Mais elle résiste mal à une analyse quelque peu scrupuleuse qui montre à quel point est fausse lidée quà la fin du XIXe siècle régnait une vision mécaniste du monde. Il faut en effet savoir que cette dernière était concurrencée non seulement par l«énergétisme» (théorie qui faisait de lénergie le concept fondamental à partir duquel tous les autres devaient être dérivés, et qui nétait ni plus ni moins quune révolte contre toute forme de matérialisme, cest-à-dire toute doctrine qui donne une priorité ontologique à la matière). Mais de façon plus importante encore, la vision mécaniste du monde devait subir lopposition de certains partisans de la théorie électromagnétique qui voyaient dans léther la substance fondamentale dont était issue la matière. Ainsi, quelques soient leurs différences, lénergétisme et cette vision de lélectromagnétisme se rejoignaient pour ne considérer la matière que comme un épiphénomène. Aussi est-il opportun davoir à lesprit que les bouleversements de la toute fin du siècle ne sont pas apparus dans un monde acquis aux conceptions newtoniennes mais que, au contraire, ils ont fait irruption dans un monde déjà engagé dans de tumultueux et passionnants débats à son sujet.
Ces débats ont même été permanents au XIXe siècle. Comme le rappelle ici Bernard Pourprix à travers cette histoire de lélectrodynamique et de la physique de lénergie au XIXe siècle, la contestation de la vision mécaniste du monde représentée en ce début de siècle par Laplace est déjà manifeste chez Oersted, le découvreur de lélectromagnétisme, en 1820. Pour montrer expérimentalement lidentité de lélectricité et du magnétisme, ce physicien sétait en effet inspiré des spéculations philosophico-romantiques de Kant et de Schelling selon lesquelles il y aurait une unité profonde de toutes les forces naturelles, quelles soient chimiques, électriques, magnétiques, etc. Et plus fondamentalement, cétait à la Naturphilosophie, qui tendait à retrouver lunité perdue de lHomme et de la Nature, que se rattachait le romantique Oersted (1). Il ny a donc pas de doute que le XIXe siècle navait pas réduit le monde à un ensemble de particules en mouvement soumises à des forces centrales sur le modèle de la gravitation newtonienne. Et cest le mérite de Pourprix de nous replonger dans toutes ces riches spéculations sur le statut de la matière et de lénergie.
Lautre intérêt de son livre est davoir articulé la présentation de ces débats autour de la notion derreur. Loin dy voir systématiquement un obstacle au développement de la connaissance, ou ne serait-ce quun frein à celui-ci, Pourprix y voit parfois un de ses moteurs : "Lobjet principal de cet ouvrage est de montrer que des grilles conceptuelles reconnues comme fausses pour la science daujourdhui ont [
] joué un rôle majeur dans lhistoire des théories dynamiques." (p.9) Plus précisément, Pourprix montre comment de multiples erreurs dinterprétation, de calcul ou autres, commises par les physiciens ont, tout au long du XIXe siècle, fécondé leur propre travail.
Si cette approche de Pourprix est très stimulante, son analyse reste toutefois insuffisante et potentiellement ambiguë. Cette idée de fécondité des erreurs pourrait effectivement sopposer dune certaine manière à la notion dobstacle épistémologique, chère à Gaston Bachelard. Or, Pourprix nengage pas le débat avec ce dernier et nessaye jamais détablir des catégories entre les différents types derreurs. Pourtant, si toutes sont fécondes, la notion derreur elle-même risque de perdre son sens. Cest pourquoi il aurait été intéressant de clarifier la distinction entre, dun côté, des erreurs qui constitueraient de vrais obstacles épistémologiques et, dun autre côté, des erreurs porteuses dinnovations. En se contentant dévoquer quelques exemples des secondes, Pourprix nous prive donc dune réflexion épistémologique fondamentale.
On peut également regretter le style trop cursif de louvrage et labsence de contextualisation. Cela risque en effet de trop restreindre le public à qui il aurait pu sadresser tant lapproche choisie pour un tel sujet était potentiellement passionnante. Gageons toutefois que ce livre rigoureux saura féconder de riches réflexions
(1) Il n'est pas sûr qu'il faille ici donner raison, comme le suggère Bernard Pourprix, à Timothy Shanahan qui minimise l'influence de la Naturphilosophie sur Oersted au profit de celle de Kant (Timothy Shanahn, "Kant, Naturphilosophie, and Oersted's discovery of electromagnetism: a reassessment", Studies in History and Philosophy of Science, 20, 1989). Voir par exemple le point de vue différent de Pierre Thuillier, "De la philosophie à l'électromagnétisme: le cas Oersted", La Recherche, 219, mars 1990.
Thomas Lepeltier ( Mis en ligne le 21/11/2003 ) Imprimer
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