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Lettres marocaines
Abdellah Taïa   Celui qui est digne d’être aimé
Seuil - Points 2018 /  5,70 € - 37.34 ffr. / 120 pages
ISBN : 978-2-7578-7078-5
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en janvier 2017 (Seuil - Cadre Rouge)

L’auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à l’Ecole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il a notamment publié Hervé Guibert, l'écriture photographique ou le miroir de soi (Presses Universitaires de Lyon, en collaboration avec Jean-Pierre Boulé, 2015) et un roman, Tu vivras toujours (La Rémanence, coll. Traces, 2016).

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Abdellah Taïa a toujours eu beaucoup d’admiration pour les Lettres portugaises (1669) de Guilleragues, roman épistolaire du dix-septième siècle dans lequel une religieuse adresse cinq lettres à son amant qui l’a abandonnée et où elle exprime les différentes émotions, les différents sentiments qui l’ont habitée, de l’amour le plus passionné au renoncement et au détachement les plus profonds.

Avec Celui qui est digne d’être aimé, l’écrivain marocain signe, à son tour, une magnifique tragédie épistolaire, un roman par lettres où les voix ne se répondent pas car les dialogues, les échanges ont perdu toute nécessité. Chaque lettre laisse place au silence qui est l’unique réponse possible. Ce n’est plus, comme dans Lettres portugaises, le roman de l’amour déçu mais celui, bien plus sombre encore, de l’amour impossible.

Le roman se compose de quatre lettres aux énonciateurs ou destinataires différents. Dans la première d’entre elles (août 2015), Ahmed, le personnage principal, marocain de quarante ans vivant à Paris, écrit une lettre à sa mère, Malika, décédée cinq ans plus tôt. Il règle avec elle, par-delà la mort, les comptes de la vie qu’ils ont partagée dans le quartier de Hay Salam, à Salé, à côté de Rabat : «Je me souviens de ce que tu as fait, ma mère. Je n’ai pas peur de te le rappeler». Cette mère, une femme autoritaire, une «dictatrice», a fait souffrir sa vie durant son mari, Hamid, mais aussi ses enfants, à l’exception de l’aîné, Slimane, à qui elle consacrait tout son amour pour en mieux priver les autres. Pourtant Ahmed, l’homosexuel, s’il n’était pas son préféré, a hérité de tous les traits de sa mère : «froid et tranchant», «malin, calculateur, terrifiant». Comme une malédiction qui s’ajoute à sa condition de marocain homosexuel vivant en France : «la France et le Maroc, sans repère fixe, sans amour sûr, sans histoire légitime à moi, rien qu’à moi». L’histoire d’Ahmed est une tragédie marocaine. Mektoub. Tout était écrit : «Je suis perdu, depuis le départ, dans ton ventre déjà, en France encore plus que jamais».

Juillet 2010. Le lecteur navigue à rebours. Retour vers la source ? Vincent écrit à Ahmed qui l’a abandonné, trois ans plus tôt. Il lui raconte son histoire, sa vie sans lui, l’attente et l’absence : «J’ai maudit la vie qui t’avait offert à moi un jour et presque une nuit, puis m’avait si cruellement, si rapidement, privé de toi». C’est une lettre marocaine comme il y a les Lettres portugaises, une lettre d’amour et de passion, de désir et de manque. Mais Ahmed se refuse à l’amour qui se refuse à lui. C’était écrit.

Juillet 2005. Ahmed écrit à Emmanuel. Leur amour, leur passion à eux. Leur combat. Comment Emmanuel l’a sauvé du Maroc en lui offrant l’opportunité de venir en France pour étudier, comment la France et Emmanuel ont détruit en Ahmed ce qu’était Ahmed, son passé, ses racines. L’histoire de leur amour, c’est aussi celle de la colonisation qui se répète à distance géographique et temporelle. C’est l’Histoire qui se rejoue sur le mode de la rupture amoureuse et de l’amour impossible. L’amour, comprend-on, est une forme du pouvoir.

La dernière lettre nous ramène en mai 1990. A l’origine de la tragédie, à «Celui qui est digne d’être aimé» dont parle le titre : Lahbib. Méprisé dans l’amour, humilié par l’amour et la haine de Gérard, par l’esprit de vengeance. Rabat, le quartier Hassan, le quartier des colons, Salé, Hay Salam, le quartier des pauvres, le fleuve Bou Regreg qui les sépare. Abdellah Taïa nous ramène comme souvent, en fin de roman, où tout a commencé, aux sources, à sa source. «Un jour, tu me vengeras. Je le sais», dit Lahbib à Ahmed.

Celui qui est digne d’être aimé est le roman bouleversant d’un être déchiré par son histoire personnelle, par ses histoires d’amour et par l’Histoire de son pays. Abdellah Taïa, à travers son destin et ceux croisés des personnages qu’il crée et qu’il invente depuis dix-huit ans, poursuit l’écriture du dialogue complexe entre le France et le Maroc et de ce qui se joue chez ceux qui ont traversé la Méditerranée pour trouver une vie meilleure, comme l’exprime Lahbib dans la dernière lettre à Ahmed : «Nous marchons sans nous fatiguer et nous regardons passer les trains. Ils passent sans arrêt, les trains, sans nous prendre avec eux. Garde le monde et l’espoir vivants en toi. Même difficile, tu dois porter jusqu’au bout cette mission».


Arnaud Genon
( Mis en ligne le 02/03/2018 )
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