|
Rayon gay & lesbien -> Essais & documents |
| Dominique Fernandez Amants d'Apollon - L'homosexualité dans la culture Grasset 2015 / 25 € - 163.75 ffr. / 653 pages ISBN : 978-2-246-85506-4 FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur honoraire de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion). Imprimer
Dans un épais volume, Dominique Fernandez se propose - et nous propose - de réfléchir à la représentation de lhomosexualité dans la culture occidentale. Son ambition est de construire un modèle positif et il lannonce dès la première phrase : «Nous revenons de loin. Vous revenez de loin. Le modèle proposé aux homosexuels jusquaux années 1980 était entièrement négatif. (
) Lhomosexuel ne pouvait se voir que comme un rebut de la nature et un indésirable dans la société».
Au premier rang des accusés : «les médecins légistes, puis les psychiatres et les psychanalystes». Contre ces lectures négatives, en tenant compte de lévolution des regards depuis une trentaine dannées, Dominique Fernandez entraîne ses lecteurs dans un parcours qui commence à lAntiquité pour traverser les siècles, et démontrer que, alors quencore en 1804 le code civil français rend lhomosexualité légale (sous linfluence de Cambacérès lui même homosexuel déclaré, qui parlait volontiers de sa «petite différence»), cest dans la seconde moitié du XIXe siècle quen France - comme dans les autres pays européens - sinstallent réprobation et répression.
Si en France lhomosexualité na jamais été pénalisée, en revanche la condamnation morale sest exercée, davantage encore lorsquun discours médical la justifie. Cette lecture se modifie assez rapidement à la fin des années 1980 mais, constate Dominique Fernandez, «un modèle homosexuel entièrement «positif» manque toujours, cest le paradoxe et la calamité de notre époque apparemment libérée». Cest ce modèle que lauteur (né en 1926) veut élaborer dans ce livre qui vient à la suite de deux ouvrages : Le Rapt de Ganymède (Grasset, 1989) et LAmour qui ose dire son nom (Stock, 2001). Une somme en trois tomes donc sur la place de lhomosexualité dans la culture.
Le plan : une première partie consacrée aux Mythes (Ganymède, Narcisse, mais aussi les débats autour du mariage pour tous), une seconde partie intitulée Bouteilles à la mer, qui décrypte les signaux cachés de lhomosexualité, alors que la troisième partie, Phares, présente les auteurs, homosexuels ou non, qui ont fait dhomosexuels leurs héros. La quatrième partie, en forme de conclusion, assez brève, 30 pages, s'intitule Promenades et propose un parcours libre en quelque sorte : une méditation sur la mélancolie homosexuelle, une promenade au jardin des Tuileries à Paris, pour conclure sur la place de lhomosexualité dans la culture au fil des siècles. «En guise de conclusion, un paradoxe presque une provocation : labondance des uvres littéraires et des uvres dart à sujet homosexuel, à partir du XXe siècle, dès que létau de la censure a commencé à se desserrer, justifie a posteriori la vigilance des censeurs tout au long de lhistoire». Et une ultime question : si lhomosexualité a désormais part pleine et entière, quel est le nouvel ennemi des censeurs ? Pour Dominique Fernandez, la réponse est évidente, dernière phrase du livre : «la «théorie du genre», objet de vives discussions et qui, approuvée ou désapprouvée, invite en tout cas à se demander si la séparation des sexes et la distribution classique des rôles sont vraiment une fatalité».
Dominique Fernandez conclut en proposant «la bibliothèque gay idéale» et une iconographie. Un cahier central iconographique illustre le livre. Il est des temps et des lieux privilégiés pour lexpression de la culture gay : lAntiquité et ses récits mythologiques - Apollon et Hyacinthe, Jupiter et Ganymède -, la Florence de la Renaissance, celle de Michel Ange, de Benvenuto Cellini, de Léonard de Vinci, des éphèbes alanguis, des Ignudi de la chapelle Sixtine et des sculptures évocatrices, à qui Dominique Fernandez consacre un chapitre : «Florence, capitale de la culture gay». Puis la moralisation vigilante intervient et Caravage, au XVIIe siècle, ne peut que se jouer des codes, de façon assez explicite, mais sans les transgresser absolument. Les multiples représentations de Saint Sébastien, nu, percé de flèches, en sont une illustration, symboles dépourvus dambigüité qui se multiplient dans les églises et chapelles et incitent à la rêverie
Cette première partie, brillante, dans laquelle lauteur explore un domaine quil connaît parfaitement, est sans doute le plus intéressante.
Dans la seconde partie, Dominique Fernandez sattache au domaine littéraire : Don Quichotte chevalier errant, solitaire et différent, figure de tous les exclus et marginaux sociaux. Don Juan, Rembrandt sont pour lui autant dexemples de sa théorie. Dans la littérature, certains héros sont ouvertement homosexuels, tel le Vautrin de Balzac, dautres avancent masqués, le Don Carlo de Verdi, lOctave de Stendhal (dans Armance), ou encore les héros de Stevenson. Dominique Fernandez cherche à ouvrir pour ses lecteurs ces «bouteilles à la mer» plus ou moins scellées : héros de Conrad, de Melville (Billy Budd), de Thomas Mann (le Hans Castorp de La Montagne magique ou le professeur Aschenbach de La Mort à Venise, héros bien connu, mais aussi Tonio Kröger).
Certains auteurs - que Dominique Fernandez qualifie de «phares» - ont assumé leur discours : Théophile Gautier, Zola, Oscar Wilde, Montherlant, Gide, Pasolini, etc. Ces phares ont montré une voie empruntée aujourdhui, avec des différences, par de nombreux pays, celle de la reconnaissance officielle de lhomosexualité dont lauteur dresse un rapide panorama en fin de partie, de la France à lEgypte, en, passant par la Russie, le Mexique, lAngleterre, les Etats-Unis
On peut ne pas suivre jusquau bout de son raisonnement Dominique Fernandez pour qui lhomosexualité dans les arts et lettres est omniprésente depuis lAntiquité, soit évidente soit en filigrane, code réservé aux seuls initiés lors des périodes de moralisation et de répression, et aujourdhui volontiers dévoilée par exemple dans les mises en scène de théâtre ou dopéra. Toutefois, quon adhère pleinement aux thèses de lauteur ou avec quelques réserves, le livre offre un beau panorama de la culture occidentale (plutôt entre France et Italie), sujet que connaît admirablement Dominique Fernandez et quil présente avec élégance et virtuosité.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 07/04/2015 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:On a sauvé le monde de Dominique Fernandez | | |
|
|
|
|