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Buvons et chantons !
avec Otar Iosseliani, Michel Piccoli, Séverin Blanchet, Jacynthe Jacquet
Bodega Films 2007 /  26.37  € - 172.72 ffr.
Durée film 115 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : France, 2006
Sortie DVD : 10 mai 2007

Version : 2 DVD 9, Zone 2
Format vidéo : PAL, format 1.85
Format image : Couleurs, - 1.66:1
Format audio : Français Dolby Digital 5.0
Sous-titres : Aucun

Bonus :
- Iosseliani, le merle siffleur (2006 Couleurs - 92 mn), un film de Julie Bertuccelli
- Bande-annonce

L'auteur du compte rendu : Scénariste et cinéaste, Yannick Rolandeau est l'auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Parler des films d'Otar Iosseliani est un véritable défi tant ce sont des forteresses imprenables. A cheval entre René Clair et Jacques Tati, quasiment sans dialogue, Otar Iosseliani, d'origine géorgienne, est l'un des derniers "poètes" du cinéma. Réalisateur entre autres de La Chute des feuilles (1967), Il était un merle chanteur (1970), Les Favoris de la lune (1984), La Chasse aux papillons (1992), Brigands, chapitre VII (1996), Adieu, plancher des vaches ! (1999), et Lundi matin (2002), chacun de ses films est une petite merveille. Un monde burlesque et poétique, une chorégraphie virtuosement mise en scène par des plans séquences réglés au millimètre. Iosseliani ne s'attache pas à l'intrigue proprement dite mais aux situations qui se déroulent, les unes après les autres, à la queue leu leu (sur le mode marabout-bout-de-ficelle-selle de cheval...), scénettes vues presque de loin, d'une manière détachée, l'air de rien. Le cinéaste ne tire jamais d'effets de l'action qui se déroule. Il n'appuie jamais ce qui arrive par des cadrages en gros plans. Tout arrive presque discrètement ; vous le voyez, tant mieux, vous ne le voyez pas, tant pis. On est dans un monde enchanté et désenchanté qui lorgne du côté du muet. Le grand art d'Iosseliani est d'établir une narration complètement cinématographique.

A quoi avons-nous à faire ? Que nous raconte-t-on exactement ? Du pouvoir et du fait de retrouver la joie de vivre en le délaissant. Et tout pouvoir même ! Mais à la manière de Iosseliani, c'est-à-dire avec de l'ironie, du grotesque et beaucoup de farfelu. Le cinéaste est un fabuliste dans la droite ligne d'Esope, de La Fontaine, établissant une narration pour mieux nous faire comprendre ce qu'il veut transmettre, sans coller stricto sensu à la réalité mais tout en la traitant. On suit ici Vincent, un ministre puissant, plutôt élégant, buveur, mangeur, bon vivant. Odile, sa femme est belle, intelligente, lucide, charmante et passe ses journées à dépenser son argent. A cause d'une grosse manifestation, Vincent est chassé de son poste ! Sa femme le plaque. Théodière, le nouveau ministre, avec son léopard, investit le somptueux bureau de Vincent et garde son toucan qu'un président noir lui avait offert. Il casse tout, change les étagères, le tissu d'ameublement, le bureau, les fauteuils, jusqu'aux cendriers et aux téléphones. Parallèlement, Vincent recommence à vivre...

Le sujet du film a été inspiré à Iosseliani alors qu'il se trouvait dans les bureaux du ministre de la Culture au moment où François Léotard allait remplacer Jack Lang. Le ministère était vide, on attendait l'arrivée de la nouvelle équipe, des papiers traînaient partout...

Otar Iosseliani ne fait néanmoins pas allusion à une époque précise mais s'il ne s'appuie pas sur des faits avérés, il n'en est pas moins concret, avec des petits détails qu'il accumule sur l'esprit de son temps. Certes, si Iosseliani, en quelques plans, se moque des célébrations routinières, des inaugurations compassées, des protocoles rigides, le plus étonnant dans le traitement du film est de voir Vincent passer des lambris dorés des bureaux ministériels à la simple vie de quidam, dépouillé de ses oripeaux honorifiques. Presque un clochard même, se retrouvant dans les bras d'une prostituée, croisant ses anciens amis d'enfance ou de quartiers. Il y a de la loufoquerie évidemment dans une telle approche... mais pas dans les intentions.

Otar Iosseliani, libre comme l'air, ne craint pas non plus d'aborder les sujets qui fâchent. Il a la dent dure et ne fait aucun cadeau aux sans-logis noirs qui occupent abusivement l'appartement de la mère de Vincent. Et quand ce dernier veut le récupérer, il est tout de suite accusé de racisme... On voit comment l'idéologie anti-raciste sert de caution à une volonté de pouvoir (occuper un territoire), qu'elle soit ministérielle ou sociale ! A part ses piqûres ironiques, une certaine nonchalance et une ivresse abondante (on boit beaucoup dans les films d'Otar Iosseliani ! Voir la scène où Vincent se sert d'un alambic...) traversent le film de part en part. Mais on chante aussi, on joue de la musique et on boit encore... A la fin de Adieu, plancher des vaches !, lassés de Paris et du monde trop clinique qui advient (un beau café fermait pour laisser place à un Internet-café), les protagonistes prenaient place dans une barque, quittaient la terre ferme, ouvraient maintes bouteilles de vin en chantant à tue-tête... Dans Jardins en automne, on préfère l'errance, les gens croisés au hasard, les cafés où l'on peut discuter, manger et boire entre amis... Le cinéaste s'amuse énormément. Par exemple, s'il prend rarement des acteurs professionnels, Michel Piccoli, ici, joue le rôle d'une très vieille dame, la mère de Vincent, qui donne à ce dernier de l'argent de poche et le numéro de ses cartes bleues ! Le cinéaste lui-même joue un petit rôle, ouvrant pas mal de bouteilles et buvant souvent, évidemment...

Otar Iosseliani explique le titre son film par le fait qu'il faut sans doute atteindre l'automne de sa vie pour avoir un peu de sagesse. "Pour certains, dit-il, oui, qui s'installent dans la vie, font carrière, sont coincés par l'absence de regard métaphysique sur le phénomène de la vie. Ils ratent la joie de vivre, ils pensent que l'essentiel est d'avancer sur le chemin de la réussite. Mais si le destin leur sourit, ils peuvent se réveiller, et recommencer à vivre. Notre héros possède le pouvoir, il est bien placé. Et on le chasse... heureusement pour lui. On est très content pour lui parce qu'enfin il va commencer à vivre, tout simplement. Cela arrive parfois très tard, à l'automne de la vie. L'automne est le temps des regrets, le regret de tout ce temps perdu..."

On peut être a priori dérouté par cet univers mais le spectateur doit être attentif et curieux. Tout ce petit monde se croise, s'entrecroise, évolue, se recroise... sur le mode du hasard contrôlé et finalement, peu à peu, chaque chose prend sa place, le puzzle s'assemble avec une liberté de ton, une fluidité et une fantaisie remarquables, dessinant en filigrane une carte poétique et féroce de notre monde moderne. Et si, à la fin de notre histoire, Vincent croise Théodière, son rival et successeur en disgrace à son tour, ce sera sans haine, ni joie perverse : "Tu as l'air fatigué... tiens, bois un coup !". Le film se conclut dans le jardin de Luxembourg où tout ce beau monde est réuni et mange. Et boit. Un quatuor de musiciens joue une musique tendre et mélancolique. La caméra nous montre le vent dans les beaux arbres...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 15/06/2007 )
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