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Blake is Black avec Jim Jarmusch, Johnny Depp, Gary Farmer, Lance Henriksen, Michael Wincott, Eugene Byrd, Robert Mitchum TF1 Vidéo 2006 / 39.99 € - 261.93 ffr. Durée film 115 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : 1995, USA
Titre original : Dead man
Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 16/9 compatible 4/3
Format image : 1.77 (noir et blanc)
Format audio : Anglais, Français (Dolby Digital 2.0)
Sous-titres : Français
Bonus :
Interview retranscrite de Jim Jarmusch
Filmographies des acteurs et du réalisateur
Bandes annonces de trois films avec Johnny Depp : Dead Man, Las Vegas parano et Donnie Brasco
Lien internet
Le coffret comprend également les DVD de : Donnie Brasco, Le Chocolat, Neverland et Las Vegas Parano
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Miné par la perte de ses parents et une déception sentimentale, un jeune comptable de Cleveland (1), William Blake (Johnny Depp), débarque dans une ville perdue de louest des Etats-Unis à la fin du XIXe siècle. Brutalement rembarré par le patron de la fonderie, lirascible Mr. Dickinson (Robert Mitchum), en apprenant que le poste quil briguait est déjà pourvu, Blake erre seul, plongé dans un milieu hostile dont il ne connaît pas les us. Dépité, avec son petit chapeau, ses lunettes, son costume au motif écossais et sa mini-bouteille de whisky , il noue connaissance devant le saloon avec une ancienne prostituée, Thel (Mili Avital). Mais la brève idylle tourne rapidement au cauchemar : la jeune femme est abattue dune balle tirée par son ex-fiancé jaloux (Gabriel Byrne) qui la transperce et blesse grièvement Blake. Ce dernier, contraint de riposter, tue son agresseur qui nest autre que le fils de Dickinson.
Assassin malgré lui, Blake senfuit à cheval poursuivi par un trio de sinistres tueurs à gages engagé par Dickinson père. Son chemin croise alors celui de Nobody (Gary Farmer), un indien des plaines ostracisé par les siens, car moitié Blood moitié Blackfoot, qui tente de le soigner et l'accompagne dans son ultime voyage. Cette rencontre marque le début de la seconde partie du film. Le héros quitte la bien nommée ville de Machine, sorte de Sodome et Gomorrhe de lOuest, viciée par la civilisation de lhomme blanc et lindustrialisation permise grâce à larrivée du chemin de fer. Il entame un retour à la nature dans un périple vers la mort sur fond de paysages crépusculaires. Cette balade retrace sa lente agonie, dArizona en Californie du Nord, et décrit les liens damitié qui se tissent entre les deux rejetés, et ce, malgré une incompréhension souvent réciproque.
Western ésotérique et démystificateur
Western résolument atypique, démystificateur, mystique et ésotérique, Dead Man porte un regard tant irrévérencieux quironique sur la conquête de lOuest et la fin dune époque coïncidant avec lirrémédiable avancée que daucuns appellent le « progrès ». Lhistoire de cette sanglante période reste cependant allusive se résumant à quelques traces de tueries perpétrées par les Blancs et les Indiens, au massacre de bisons ou à la guerre bactériologique via la distribution aux Indiens de couvertures contaminées par la phtisie ou la variole. Jim Jarmusch joue avec les codes et les thèmes du western classique en y faisant référence mais en les détournant sans cesse. Ainsi, il nhésite pas à se servir de phrases ultra stéréotypées telle que : « Cole ce nétait quun gosse » et à mettre à mal la vision aseptisée dun Far West déformé par le prisme hollywoodien. Le réalisateur puise dans les classiques tels que La Flèche brisée (1950) de Delmer Stewart, qui conte lamitié entre le chef Cochise et un émissaire blanc, ou du désabusé LHomme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford avec Lee Marvin. En hommage à cet acteur, auquel le réalisateur voue un véritable culte et qui joua dans de nombreux westerns, les noms de Lee et Marvin sont donnés aux deux Marshals lancés sur les traces de Blake. Des allusions aux post-westerns pro-indiens sont également perceptibles : de Soldat bleu (1970) de Ralph Nelson, récit du sanglant massacre de Cheyennes et dArapahos de Sand Creek en 1864 par larmée américaine, à Little Big Man (1972) dArthur Penn, relatant celui de Washita en 1868, en passant par Le Nouveau Monde (1972), sur la spoliation des Indiens. Ces longs métrages appartiennent au courant hyper violent et réaliste amorcé par La Horde sauvage (1969) de Sam Peckinpah où la vie dun homme, selon la formule consacrée, vaut moins que celle dun cheval.
Cependant, la violence de Dead Man nest pas esthétisée, les meurtres y sont sordides et filmés sans emphase à linverse de ceux commis dans les films de Sam Peckinpah ou dArthur Penn. Avec lemploi du noir et blanc, Jim Jarmusch a également souhaité mettre une distance historique et trancher avec les autres productions de westerns. Cette marque dintemporalité sexprime dans les images achromes de deux autres de ses road movies : Stranger than Paradise (1984) et Down by Law (1986). Robert Müller, qui signe la photographie de Dead Man, joue sur une gamme nuancée de gris renforcée par les fondus au noir - ou au blanc pour lévocation des souvenirs denfance de Nobody - reliant les séquences de ce récit elliptique sur une chasse à lhomme.
Le cinéaste balaie lhistoire cinématographique du western et glisse même un clin dil au western spaghetti car la phrase de Nobody - « Mon nom est personne » - est autant une allusion au film au titre éponyme de 1973, réalisé par Tonino Valerii et produit par Sergio Leone, quà un titre de chanson de Conway Twitty. Jim Jarmusch signe cependant une uvre éminemment personnelle qui prend systématiquement ses distances avec ces diverses influences. Le réalisateur renouvelle le genre en adoptant le point de vue indien et en opérant un juste retour des choses puisque William Blake, affublé du nom très anglo-saxon du poète britannique, tient le rôle de létranger dans cette partie des Etats-Unis.
Une ode épique et rock
Suivant lexemple de son illustre prédécesseur, le photographe Edward Curtis, réalisateur en 1914 du documentaire In the Land of the War Canoes (2) sur le peuple kwakiutl, Jim Jarmusch reste lun des rares cinéastes à sêtre intéressé à la culture et aux murs des indiens de la côte nord-ouest du Pacifique, notamment dans la minutieuse reconstitution dun village makah. Si Blake répète à plusieurs reprises la phrase - « Je nai pas de tabac » (3) - indiquant que sur ces territoires encore vierges la civilisation imposée par lAmérique blanche ne règne pas encore totalement, il fume par contre le peyotl, une plante hallucinogène utilisée lors de cérémonies chamaniques. Johnny Depp, dont le grand-père était Cherokee, pris linitiative de se peindre le visage lors de cette scène qui constitue un tournant dans lodyssée de Blake. Ombre dun poète déjà mort, celui-ci part à la recherche de sa propre identité entre culture anglo-saxonne et indienne, à linstar de beaucoup de personnages paumés des films de Jarmusch tiraillés entre deux cultures et projetés dans un univers qui leur est étranger. Blake entame dès lors un voyage ésotérique qui le conduira jusquà ce que Nobody appelle le miroir et qui le confiera aux eaux noires du Pacifique, tel le Styx, selon des rites funéraires indiens.
Acteur dans un autre film de Jim Jarmusch, Ghost Dog, la voie du samouraï (1999), Gary Farmer y prononce une réplique similaire : « Stupid fucking white man » (« Connard de blanc »). Nobody, surnom quil sest trouvé pour remplacer le nom de « celui-qui-parle-sans-rien-dire » donné par sa tribu, porte un regard condescendant sur les agissements des Blancs. Cependant, sa culture est en partie occidentale puisque capturé enfant et envoyé en Angleterre, où il fut exhibé comme un sauvage, il y lut luvre de William Blake dont il est devenu un grand admirateur et dont il se fait souvent lécho. Nobody récite les vers désespérés, visionnaires et mystiques en adéquation avec les situations vécues : pour exprimer son refus du dogmatisme religieux, « La vision du Christ que tu as est la pire ennemie de ma vision à moi » (The Everlasting Gospel, 1818) ou pour fustiger larrogance des blancs, « Jamais laigle ne perdit plus de temps quen apprenant du corbeau » (The Marriage of Heaven and Hell, 1793). Lorsquil apprend que létranger blessé quil a pris sa coupe porte le nom du poète, Nobody cite des vers sur la destinée tirés du poème de 1863 Auguries of Innocence : « Chaque nuit, chaque matin, certains naissent pour le chagrin. Chaque nuit, chaque matin, certains naissent pour le délice exquis. Certains naissent pour le délice exquis, certains pour la nuit infinie. » Pour lindien des plaines, qui entretient un rapport différent à lespace-temps, la vie est un cycle sans fin. Il ne doute donc pas un seul instant que Blake et le poète homonyme, ayant vécu au siècle dernier en Angleterre, ne sont quune même et seule entité. Ce mélange de croyances indiennes et denvolées lyriques renforcent le côté noir et décalé de cette ode élégiaque. La phrase en exergue, « Il est toujours préférable de ne pas voyager avec un mort », qui précède les premières images du film et est issue de luvre La Nuit des Bulgares dun autre poète onirique, Henri Michaux, annonce le drame et sadresse directement à Nobody.
Contrepoint à ce lyrisme, la musique de Neil Young participe au décalage et au climat détrangeté du film. Jim Jarmusch, fan du chanteur et guitariste folk également sensible à la persécution des indiens, lui confia lintégralité de la bande originale interprétée à laide dune guitare acoustique, dun harmonium à soufflet, dun piano désaccordé et surtout dune guitare électrique. Les variations saturées avec effets de feedback, phraser et réverbération dun thème obsédant, hypnotique et contemplatif, ont été improvisées par le musicien au vu dun premier montage de rushes. Il en résulte une complainte entêtante avec des riffs dissonants, torturés, psychédéliques, qui accompagne le voyage du héros en introduisant un climat de plus en plus sombre à mesure que Blake se rapproche de la mort. Cet univers sonore nest pas sans évoquer celui créé par Ry Cooder pour le film de Wim Wenders Paris, Texas (1984). Assistant du cinéaste allemand sur Nicks Movie (1980), Jim Jarmusch sinspire également dun de ses road movies en noir et blanc, Au fil du temps (1975).
Jim Jarmusch, qui poursuivit lannée suivante sa collaboration avec Neil Young en filmant sa tournée avec le Crazy Horse dans The Year of the Horse (1997), multiplie dans Dead Man, comme dans ses autres productions, les allusions à la musique, des Doors en passant par James Brown. Lui-même ex-clavier dans un groupe de new-wave, il samuse ainsi à attribuer, en les déformant parfois, des noms de piliers du rock à ses personnages : Benmont Tench, membre du groupe Tom Petty and the Heartbreakers ; Big George Drakoulios, en référence au musicien et producteur George Drakoulias ou Conway Twill en hommage à Conway Twitty. Ami de Johnny Depp depuis que celui-ci assurait ses premières parties de concerts avec son premier groupe The Flame, Iggy Pop endosse quant à lui le rôle dun travesti mystique compagnon de deux trappeurs dégénérés et hirsutes.
Les suppléments du DVD se limitent à quelques biographies, bandes annonces et à la retranscription dune trop courte interview de Jim Jarmusch dont ni lannée, ni la date ne sont spécifiées. Il est à souhaiter quune prochaine réédition aura lidée de proposer des commentaires audio du cinéaste sur son uvre afin que les spectateurs puissent en saisir toute la richesse et la complexité.
(1) Ville industrielle située près du lieu de naissance de Jim Jarmusch dans lEtat de Ohio à lest des Etats-Unis.
(2) Film restauré en 1973 et renommé In the Land of the Head-Hunters (Au pays des chasseurs de têtes), une uvre qui aurait influencé Robert Flaherty pour son célèbre documentaire de 1922, Nanouk lesquimau.
(3) Possible clin dil du cinéaste au film tourné la même année que Dead Man par Wayne Wang, Smoke, dans lequel Jim Jarmusch expliquait quil fumait sa dernière « Lucky ».
Corinne Garnier ( Mis en ligne le 30/11/2006 ) Imprimer
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