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Les mots et les choses
Karine  Tuil   Tout sur mon frère
Grasset 2003 /  2.75 € -  18 ffr. / 306 pages
ISBN : 2245654017
FORMAT : 13 x 21 cm
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Arno et Vincent sont deux frères que tout sépare. Le premier, l’aîné, est écrivain, sans le sou, solitaire ; le second est trader, roule sur l’or (en Porsche) et partage tant bien que mal son peu de temps libre entre sa femme et ses maîtresses. Enfants déjà, ils ne réagissaient pas de la même manière face au credo d’éducation de leurs parents : la lecture. Dans le sobre appartement familial, les livres étaient les «signes extérieurs de richesse intérieure» : «Nos parents ne nous interdisaient aucune lecture, l’impératif de protection des mineurs ployait sous le devoir de lire. […] La littérature était une religion […] Lire c’était prier ; moi je n’avais aucune inclination à la prière.» Vincent rêvait d’autre chose, d’une vie où l’argent apporterait le confort matériel, d’un bonheur moins ascétique. Il y est parvenu. Arno, lui, a renoncé à une carrière d’avocat pour entrer en littérature comme d’autres fils aînés entraient autrefois au séminaire : fatalement. La vocation alors est-elle vraiment au rendez-vous ? L’inspiration pour ses livres, Arno la puise dans la vie tumultueuse de son frère. Ce qui a valu à ce dernier quelques déboires avec sa femme, jusque-là soigneusement tenue à l’écart des vies parallèles de Vincent. A trente et quelques années, les relations entre les deux frères se limitent au strict minimum, histoire de ne pas permettre au conflit – à la haine ? – se trouver trop de points d’ancrage. C’est surtout à l’hôpital qu’ils se rencontrent, au chevet de leur père, depuis qu’un accident vasculaire cérébral lui a fait perdre tous les attributs ou presque de la vivante humanité. C’est autour d’un père qui a perdu ses mots – lui, l’ancien traducteur – que deux frères vont retrouver un début de dialogue.

Devenir adulte, c’est peut-être être capable de substituer ses mots à ceux de ses parents. Dans le roman de Karine Tuil, les mots ont une place hautement symbolique : fondateurs de l’autorité parentale, les mots font loi. Ils sont ensuite la matière de l’écrivain qu’Arno a choisi d’être. Mais leur substrat est la vie de Vincent, qu’ils désagrègent à mesure qu’ils la dévoilent dans les romans d’Arno. Les mots, enfin, sont les grands absents de la relation entre les frères. Ce n’est pas un hasard si la « chosification » du père est le préalable nécessaire à l’humanisation du rapport entre ses fils devenus adultes. Tout au long du roman, les choses et les êtres jouent à cache-cache dans un bal masqué dérisoire et tragique. Les êtres sont objets : l’épouse et la maîtresse n’existent que par Gucci, Céline ou Hermès ; le père n’est plus qu’un corps entre la vie et la mort. Les objets, à l’inverse, prennent vie : Vincent retrouve une caisse abritant quelques souvenirs de Léa, un amour d’adolescent ; cet « objet personnel » va soudain prendre une place démesurée dans sa vie, jusqu’à rendre sa femme hystérique. «Je fis un rêve étrange : la caisse se transformait en Léa. C’était elle, vêtue d’une robe en carton, les cheveux dénoués, les pieds nus. Elle traversait le couloir de l’entrée, marchait jusqu’à ma chambre, en franchissait le seuil, se glissait dans le lit conjugal entre ma femme et moi. Puis, au moment où je la caressais, elle redevenait une caisse.» Humains-objets, objets humains : la confusion nous parle surtout de désarroi.

Une autre confusion s’immisce, entre la réalité et la littérature : les romans d’Arno sont-ils seulement le reflet de la vie de Vincent ? Vincent ne se convainc-t-il pas qu’ils parlent de lui ? (Vincent est d’ailleurs le narrateur de Tout sur mon frère, par une indubitale espièglerie de l’auteur…) Sa femme a-t-elle raison de croire qu’il a des maîtresses, puisque c’est écrit ? Jusqu’à la toute dernière page de son livre, Karine Tuil s’amuse du flou de la frontière entre la « vraie vie » et la « vie rêvée » dont parlait Proust. Les personnages de son roman ne sont pas les stéréotypes qu’ils auraient pu être – ce qui aurait enlevé du charme à ce texte. Le trader cocaïné et névrosé ne nous chante pas qu’il aurait voulu être un artiste. Le sujet est plus subtil. A la question « comment réussir sa vie ? », Karine Tuil semble répondre qu’il faut se défaire des masques que l’on porte et dont on pare les autres, dès l’enfance. Aucun des personnages, ici, n’est très doué en la matière. Ni les fils, ni les parents ne sont parvenus à sortir de la prison qu’ils se sont construits, seuls et en interaction. C’est sans doute là le message le plus dépité de ce roman. Non, il n’y en a pas un pour sauver l’autre. Jusqu’au bout, on hésite à aimer ou à mépriser chacun des protagonistes, du moins masculins. Car les femmes, ici, n’ont guère de charme : les maîtresses et les épouses sont pareillement pénibles, les mères sont abusives et abusées… Le regard emprisonne, les mots créent l’étiquette. Arno et Vincent, produits de la même éducation, incarnent deux visages d’une semblable aliénation. Le quatrième roman de Karine Tuil, profondément existentialiste, travaille la matière des relations familiales pour toucher du doigt des failles qui nous concernent tous.


Anne Bleuzen
( Mis en ligne le 29/08/2003 )
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