Pascal
Pia Dictionnaire des oeuvres érotiques - La chronique de Nicolas d'Estienne d'Orves
Robert Laffont - Bouquins 2001 / 3.24 € - 21.22 ffr. / 540 pages
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Tremblons, mes frères, l’Enfer est à nos portes… Il nous guette, nous observe, nous nargue ; il nous guigne, avant de passer à l’attaque. Pourtant, cet enfer n’a rien d’un diable bicéphale aux audaces fourchues. Point de flammes salvatrices ni d’œil noir ; point de marmites géantes où mijotent membres épars.
Non, non, non. Le seul enfer qui compte est sous nos yeux, hic et nunc, sous la forme d’un joli petit volume de 540 pages.
Sur sa couverture, un homme y succombe aux audaces toutes sensuelles d’une créature du sexe opposé. Les mains du " monsieur " se perdent déjà dans l’abondance des jupons, celles de la dame dans les tortichons d’une barbe sombre et câline.
L’enfer dont je vous parle n’a rien d’une damnation éternelle ; bien au contraire, il est une source de joies infinies. Tout juste dut-il attendre bien longtemps avant de revoir la couleur du jour : c’est " l’enfer de la bibliothèque nationale ".
Pendant des années, ces ouvrages furent cachés dans des rayonnages secrets, tant leur contenu effrayait la morale en cours. Car s’ils étaient publiés, on savait encore les faire taire. C’était une forme d’emprisonnement, ni plus ni moins.
Pascal Pia (1903-1979), dressa le catalogue de ces abîmes littéraires, comme on manipule des braises dans une cheminée rougeoyante. Puis, il composa ce précieux Dictionnaire des œuvres érotiques, pendant lubrique au fameux Dictionnaire des œuvres paru sous la même bannière. Epaulé par un collège de vrais érudits (une trentaine), il a dressé l’inventaire de cinq siècles de turpitudes françaises.
Il faut dire qu’on s’amuse bien, dans le jardin secret de Pascal Pia, même si la rigueur critique provoque parfois une sécheresse de ton qui, paradoxalement, n’en rend les œuvres que plus savoureuses. Outre les noms attendus de Sade, Bataille, Apollinaire, Réage et autres classiques de la littérature érotique on découvre ceux, moins fréquents, de Zola, Proust, Balzac, Morand, Jules Romains, Georges Simenon ou de la Comtesse de Ségur.
Avouons toutefois que les livres anonymes sont souvent les plus délectables, ne serait-ce que par leurs titres : " L’Art de plumer la poule sans crier ", " Copie d’un bail et ferme faicte par une jeune dame de son con pour six ans ", " Enfants de Sodome à l’Assemblée nationale ", " La Grande et véritable prognostication des cons sauvages ", ou encore " La Source du gros fessier des nourrices "…
Notons aussi la présence d’un volume du docteur Jacobus X, publié en 1893, et intitulé " L’Amour aux colonies, écrit pour un petit nombre de gens studieux à la recherche de l’immuable vérité, à qui elle est offerte ici sans voiles, dépouillée de ses oripeaux conventionnels " (ça c’est du titre !). Voici un véritable atlas amoureux des anciennes colonies françaises, décrites dans le plus pur style cocardier de la IIIe république. Découvrons ainsi l’Indochine et son " violon anal ", son " hérisson chinois ", son " œuf à Mercure " (??) ; visitons les Antilles sous l’effet de " l’aubergine enragée " ; apprenons à connaître les vierges canaques, les fricatrices martiniquaises , les danses érotiques du pilou pilou…
Bref, tout un monde perdu à jamais et que les ardeurs très Club Med de Catherine Millet ne nous rendront pas de sitôt…
Nicolas d’ Estienne d'Orves
( Mis en ligne le 12/07/2001 )
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