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"Voilà le café ! c’est du thé !"
Eugène  Ionesco   Victimes du devoir
Gallimard - Folio théatre 2000 /  0.69 € -  4.5 ffr. / 160 pages
ISBN : 2-07-038790-9
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Après La cantatrice chauve (1950), La leçon (1951), Les chaises (1952), Victimes du devoir (1953) ouvre de nouvelles perspectives dans l’oeuvre théâtrale de Ionesco. Qualifié par l’auteur de "pseudo-drame", Victimes du devoir se situe bien dans la lignée des pièces précédentes (critique et détournement du langage, situations tragi-comiques) à cette différence près qu’au détour de tirades incroyablement intimistes nous y rencontrons l’auteur. Ionesco a quarante ans passés lorsqu’il transforme une nouvelle de quelques pages en cette pièce fantasque et déroutante où, par de subtils procédés, il se raconte en se mêlant à ses personnages.

Il est difficile - voire impossible - de résumer l’intrigue de Victimes du devoir. En cherchant à parodier le théâtre classique, l’auteur brouille tous les repères spatio-temporels, les personnages ont des identités mouvantes, le fil directeur est habilement tourné en dérision…

Dans un intérieur "petit bourgeois", un couple converse lorsqu’un policier s’introduit pour les besoins d’une enquête : il cherche un dénommé Mallot. A partir d’un indice dérisoire, le policier entame un interrogatoire qui conduit l’homme (nommé Choubert !) à voyager "à voix haute" dans les tréfonds de sa mémoire et de ses aspirations personnelles. Au fil de ce parcours, le policier et la femme de Choubert incarnent les différentes figures clefs de son histoire : le père, la mère, l’amante… Après le "retour à la réalité" qui se traduit par la chute de Choubert dans une corbeille à papier géante (c’est dire combien la réalité est réelle !), un poète survient (Nicolas d’Eu) qui expose ses conceptions théâtrales tandis que le policier force Choubert, retombé en enfance, à avaler des choses immangeables. Puis le poète se fâche, tue le policier et la pièce se termine dans une sorte de chaos où tous les personnages se commandent les uns aux autres de manger, de mastiquer et d’avaler !

Pour la première fois, Ionesco évoque ses conceptions théâtrales dans une pièce. A travers le discours de ses personnages, il reprend l’opposition entre le "théâtre naturaliste" ou "aristotélicien" qu’il qualifie de "théâtre policier" et le théâtre contemporain à la recherche de formes et de discours capables d’exprimer notre monde. Ionesco parodie le théâtre classique à travers la pseudo-enquête policière menée autour de Mallot, prétexte abracadabrant auquel il ne saurait y avoir de résolution. Ionesco s’oppose au conformisme d’un théâtre figé où une mécanique confortable ne dérange pas le "rêve idéologique" convenu. Pour l’auteur "nous ne sommes pas nous-mêmes", plus encore "chaque personnage est moins lui-même que l’autre". Victimes du devoir traduit et approfondit cette troublante idée de poète : les choses ne sont pas ce que nous croyons et nous ne sommes même pas certains qu’elles existent…

Autour du personnage central de Choubert, les protagonistes se transforment au gré des circonstances. Choubert lui-même passe du mari bien tranquille au partisan d’un théâtre d’avant-garde, au fils blessé par l’ingratitude d’un père, pour finir en bébé torturé par la société. Le policier est tour à tour soumis, dominateur, séducteur, tyrannique. Lorsqu'il prend le visage du père, la pièce bascule. L’homme qui parle alors n’est ni le policier, ni le père de Choubert, mais Ionesco faisant parler son propre père, imaginant une possible réconciliation. Dans des tirades foudroyantes de vérité, le père évoque les difficultés de son existence mais aussi la joie ressentie à la naissance de son fils. Rappelons qu'au début de la deuxième guerre mondiale, le père de Ionesco quitta sa famille alors installée à Paris pour rentrer en Roumanie. Là, il sût s'attirer les faveurs du pouvoir, ne fît jamais la guerre et se remaria, le reste de la famille le croyant mort au combat.

Plus loin, Ionesco évoque d'autres moments de sa vie personnelle : Choubert, dans son voyage intérieur se remémore sa jeunesse, son amour pour sa femme, ses expériences mystiques. Tout se recoupe étroitement avec la biographie intime de l’auteur. Par ces quelques tirades Ionesco, à la fois dissimulé et révélé par son théâtre critique, s’envole très haut et atteint une poésie lumineuse. "J'arrachais mes entrailles" dit-il plus tard de cette confession fiévreuse qu'est Victimes du devoir.

Mais ce n'est pas tout, Ionesco a aussi beaucoup à dire sur la société. Si le policier frappé par le poète devenu assassin s’exclame "je suis une victime du devoir" ! (après avoir dit "vive la race blanche !"), tous les personnages sont gagnés à la fin de la pièce par cette forme de pensée unique. Etre victime du devoir pour Ionesco, c’est accepter de payer le sacrifice demandé par la société. Se conformer aux normes, répéter des phrases toutes faites, participer aux enquêtes policières, dénoncer le voisin, faire un travail abrutissant, manger la nourriture que l’on a préparée pour vous.

Au début de la pièce, le couple évoque un "communiqué" du pouvoir incitant la population au "détachement" comme remède à la crise moderne. Qu’est-ce à dire sinon le contraire de l’engagement ? Se détacher de soi-même et des autres, ne plus chercher à se comprendre encore moins à se transformer. Subtile hypocrisie, dont pourrait trouver un écho aujourd’hui dans les messages publicitaire autour du "soyons zen !" D’un autre côté, le discours idéologique n’étant pas à une contradiction près, il faut "adhérer à la réalité". Le policier trouve Choubert "trop léger", "déséquilibré". Alors, il faut manger, s’alourdir, mastiquer, avaler, gober. Voilà ce qui peut empêcher les tentatives d’envol, l’attirance confuse et dérangeante pour une autre réalité…

Cette réédition en poche est l’occasion de redécouvrir une oeuvre que l’on a parfois réduit à ses dimensions de comique absurde: Ionesco, à l'issue de certaines représentations, dit du public "ils sont idiots, ils rient trop !". Dans ses soubassements philosophiques, son théâtre devrait plutôt être rapproché de celui de Beckett. Victimes du devoir, sous des dehors de farce tragi-comique est aujourd’hui un texte visionnaire. A la fois terriblement drôle et irrésistiblement triste, la pièce de Ionesco révèle une âme inquiète et amoureuse. Si comme il l’écrit dans Antidotes : "la création est ratée. Elle est à refaire", Ionesco reste attaché à l’idée que "l’homme est un animal métaphysique" capable d’"expériences de lumière".


Claire Debôves
( Mis en ligne le 23/03/2001 )
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