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Populations et mentalités
Jean-Nicolas  Corvisier   Wieslaw  Suder   La population de l'Antiquité classique
PUF - "Que sais-je ?" 2000 /  0.98 € -  6.41 ffr. / 128 pages
ISBN : 2-13-050432-9
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On ignore trop souvent que c'est à un spécialiste d'histoire antique que l'on doit la naissance de la démographie historique. La chose étonnera car à l'évocation de cette discipline l'on se remémore souvent les "clochers" de mortalité que les registres paroissiaux d'Ancien Régime laissent percevoir, ou les "creux" de la pyramide des âges des populations du XXè siècle. Et pourtant, la publication en 1886 de Die Bevölkerung der Griechisch-römischen Welt ne doit rien au hasard. Julius Beloch, son auteur, est un représentant de la grande érudition germanique de la fin du XIXè siècle; au moment de choisir son sujet d'étude, il subit la double influence d'une historiographie de l'Antiquité qui n'a jamais délaissé les faits sociaux et d'une science allemande qui a inventé la statistique moderne. En faisant paraître La population de l'Antiquité classique, Jean-Nicolas Corvisier et Wieslaw Suder entendent livrer au large public de la collection "Que sais-je ?" la première synthèse sur la démographie antique depuis Beloch.

Le livre s'ouvre sur la présentation et la critique d'un corpus de sources constitué des chiffres transmis par les Anciens et des données forgées par les Modernes. Les premiers ont certes procédé à des recensements, mais sans le dessein de connaître l'ensemble de leurs populations : seuls les citoyens à même de porter les armes et de payer l'impôt étaient pris en compte, à l'exclusion des femmes, des enfants, des étrangers et des esclaves. D'où l'importance des informations indirectes, glanées grâce à l'étude des inscriptions, des squelettes, de l'habitat… : le travail de l'historien des populations antiques consiste ainsi à croiser des données disparates pour aboutir à des résultats toujours approximatifs, mais dont il teste la cohérence grâce aux modèles construits par les démographes.

Le champ d'étude est immense : en quarante-cinq pages, deux chapitres, Jean-Nicolas Corvisier brasse avec bonheur des siècles de peuplement hellénique, depuis l'ère néolithique jusqu'à la fin de la période hellénistique. L'approche se fait d'abord par le biais de la chronologie : l'intrigue s'articule autour de la mise en place, à l'époque archaïque, d'un équilibre qui donne au monde grec une démographie caractéristique, et dont les époques classique et hellénistique sont tributaires. Les estimations quantitatives les plus savantes s'enchaînent sans qu'elles soient jamais détachées des faits de civilisation majeurs : l'installation des Doriens, la naissance de la Cité ou encore la colonisation. Les études de cas (Athènes et Sparte à l'époque classique notamment) donnent au lecteur un aperçu de la complexité des recherches, tandis que la cartographie restitue au monde grec sa diversité profonde.

Suivent alors seize pages fascinantes qui justifient, à elles seules, la lecture de l'ouvrage : c'est avec talent que Jean-Nicolas Corvisier pose les jalons d'une démographie culturelle du monde grec. Les quelques lignes consacrées à la contraception et à l'avortement en constituent l'une des meilleures illustrations : l'auteur y explique pourquoi les médecins grecs pratiquaient des avortements tout en ayant prêté un serment (le fameux serment d'Hippocrate) qui pourrait sembler le leur interdire. Pour eux, la vie ne commence pas avant la "coagulation de la semence" ; seul le mouvement du foetus apporte la preuve de cette "coagulation", pour poser la frontière floue, et tardive, entre contraception et avortement. Aussi, la démographie est-elle inséparable de la manière dont des populations se représentent leur existence. Mais l'analyse culturelle (de la nuptialité, de la natalité, de la mortalité) ne tourne pas le dos aux chiffres et à l'archéologie; elle s'en nourrit pour unifier harmonieusement démographie quantitative et démographie qualitative. Les squelettes du monde grec éclairent ainsi le milieu sanitaire : ils permettent de reconstituer la répartition des différentes maladies. La Grèce était "un monde protégé" : en dépit d'une faible espérance de vie à la naissance, il était donc possible d'y vivre vieux, une fois passés les âges les plus mortifères. D'où, sur le plan culturel, le rôle considérable du principe d'ancienneté et du thème littéraire de la vieillesse, honorée le plus souvent, dénigrée parfois.

Les deux chapitres consacrés à la population du monde romain ne sont pas, hélas, de la même veine : l'organisation suivie est la même, mais le contenu détone. Un millénaire d'évolution des populations du monde romain est décrit, avant que soit dressé le tableau des différentes variables démographiques (mariage, nuptialité, fécondité, natalité, mortalité et longévité). Le propos tient, malheureusement, plus de la vulgate que de la mise en perspective ; les thèmes les plus pointus sont traités sur le mode de l'allusion plus qu'ils ne sont intégrés à une problématique véritable.

Il est fait mention, par exemple, du "scepticisme ou (du) refus jusqu'aux limites de l'absurde des données transmises par la tradition". Le lecteur non spécialiste ne comprendra pas que l'auteur condamne ici tout un courant de pensée qui, autour de W. Scheidel et de chercheurs de l'université de Cambridge, suscite des débats passionnés, bien au-delà de la démographie. Un développement relatif aux tables de mortalité nous informe, par la suite, que "le modèle qui correspond le mieux aux conditions démographiques du monde romain est, dans la table de Coale et Demeny, le niveau 3 du modèle ouest". Et l'auteur de détailler les caractéristiques de ce modèle. Cependant, il ne juge opportun d'expliquer ni la nature de ce modèle, ni l'utilisation que l'historien peut en faire, ni les enjeux épistémologiques qui en découlent. Il s'agit pourtant de questions cruciales.

Depuis les années 1950, l'étude des populations mondiales (du tiers-monde notamment) a permis aux chercheurs de dégager différents types de démographie. Les antiquisants ont de plus en plus recours à ces travaux, ce qui renvoie aux problèmes de la place du raisonnement analogique dans la recherche historique et de l'équilibre à trouver entre le maniement des textes antiques et la conceptualisation démographique. Or, le dernier thème abordé dans l'ouvrage n'est pas sans rapport avec la recherche de cet équilibre.

"La dépopulation de l'Antiquité : mythe ou réalité ?" La réponse apportée à cette interrogation, aussi brève que stimulante, conclut l'ouvrage. Il ne s'agit ni d'un appendice ni d'une simple mise au point, mais plutôt de l'illustration finale d'une thèse fondatrice : on ne peut bâtir l'histoire des populations de l'Antiquité en faisant l'économie d'une histoire des représentations démographiques des Anciens. Le thème de la dépopulation, bien qu'il mette en jeu des préoccupations morales, n'est pas rejeté d'un revers de la main ; pas plus qu'il n'est pris pour argent comptant. Les auteurs cherchent à comprendre la logique des discours antiques qu'ils confrontent aux enseignements de l'archéologie ; ils parviennent à un jugement mesuré : "ainsi, sans nier que se soient produits des phénomènes de dépopulation, ceux-ci ont été partiels, limités, et ne peuvent donc pas à eux seuls avoir causé l'effondrement de l'Empire romain".

Au total, on se demandera sans doute s'il était seulement possible, en 120 pages, de résumer plus d'un millénaire de démographie antique. La difficulté de l'entreprise explique, à elle seule, les points faibles d'une synthèse qui, pas plus qu'une autre, ne vise l'exhaustivité. La plus grande réussite du livre est de mettre au jour une richesse disciplinaire, de révéler à quel point la démographie historique -indissociable de l'étude des systèmes culturels, sociaux, économiques et politiques- est riche de la diversité de ses méthodes. Le lecteur retiendra aussi quelques ordres de grandeur : l'estimation à 23 hab./km² de la densité moyenne du monde gréco-romain, les quelques 54 millions d'âmes de la population supposée de l'Empire augustéen… Il aura à sa disposition un livre qui lui aura donné l'envie autant que le moyen d'en savoir plus.


Nicolas Tran
( Mis en ligne le 22/06/2000 )
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