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Rhinocérisation des esprits
Alexandra  Laignel-Lavastine   Cioran, Eliade, Ionesco - L'oubli du fascisme
PUF - Perspectives critiques 2002 /  4.43 € -  29 ffr. / 552 pages
ISBN : 2-13-051783-8
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Ce sont des lieux importants de la mémoire intellectuelle européenne qu’Alexandra Laignel-Lavastine met à bas dans son essai. En cela nous devons la remercier. En dix chapitres, suivant les itinéraires de trois intellectuels roumains à dimension européenne sinon mondiale, l’auteur, à la fois historienne et philosophe, déconstruit trois existences et trois pensées qui ont compté dans notre siècle. Il se dégage de son travail un malaise né du soupçon qu’elle insère, preuves à l’appui, dans les systèmes idéologiques de deux grands penseurs : Mircea Eliade et Emil Cioran.

Contre tous les démentis opposés par ces deux clercs aux rumeurs entourant leurs jeunesses bucarestoises, la plongée dans cet univers roumain des années vingt et trente fait immerger les silhouettes intellectuelles de deux penseurs organiques du fascisme européen.

Cioran, Eliade et Ionesco, nés au début du XXe siècle, appartiennent à une génération intellectuelle dont bien des aspects rappellent celle des «non-conformistes» français étudiés par Jean-Louis Loubet del Bayle : diagnostiquant un déclin de la civilisation moderne occidentale, ces jeunes gens, selon des modalités diverses, expriment un refus. Dès 1927, avec L’Itinéraire spirituel, Eliade se pose en chef de file de cette génération. Ionesco, avec Non en 1934, exprime de même ce rejet d’un monde libéral en déclin qu’incarnerait la génération des pères. Pourtant, le futur dramaturge ne tombera pas dans le piège idéologique du fascisme, contrairement à la plupart de ses camarades. Les années trente voient en effet en Roumanie la montée d’une pensée fascisante qu’incarne le Mouvement légionnaire – ou Garde de Fer – fondée en 1927 par Constantin Codreanu. Ce mouvement fascisant, spécifiquement roumain par sa teinte religieuse orthodoxe et l’exaltation d’une «roumanité» originelle, fascine Cioran et Eliade qui en deviennent de farouches militants. Si aucune preuve ne montre à ce jour que les deux intellectuels ont porté la chemise verte, leurs articles et leurs écrits de l’époque indiquent qu’ils en furent résolument d’importants compagnons de route. Ionesco exprimera brillamment cette contamination des esprits ainsi que sa solitude dans sa fameuse pièce. Un clerc comme Mihail Sebastian, autre membre de la «génération Criterion», illustre aussi cette solitude intellectuelle.

Alexandra Laignel-Lavastine refuse la thèse de l’erreur de jeunesse. L’enquête historienne doublée d’une exégèse patiente et pédagogique des textes tend à montrer que ces engagements sont constitutifs des systèmes de pensée de ces individus.

Après la guerre, exilés en France, les deux hommes, ayant représenté diplomatiquement la Roumanie du maréchal Antonescu, tout comme Ionesco d’ailleurs que son désir de fuir son pays plaça dans cette fonction paradoxale à Vichy -« Je suis comme un évadé qui s’enfuit avec l’uniforme du gardien. », écrit-il (cit.p.348.) – parviennent à imposer cet « oubli du fascisme ». La protection des milieux émigrés roumains à Paris ainsi que la chute de la Roumanie dans le camp communiste dès la Libération, rendant inaccessibles à l’Ouest les œuvres les plus compromettantes, les y aident. L’historienne s’intéresse ensuite aux stratégies intellectuelles et sociales qui, chez chacun d’eux, permettront de retarder la révélation. Le cas de Cioran, passant d’un antisémitisme farouche à un philosémitisme exalté par un simple recyclage de clichés judéophobes est éclairant. Son Peuple de Solitaires dans les années 1950 renvoie au violent brûlot antisémite que l’on trouve au chapitre IV de sa Transfiguration de la Roumanie écrite avant-guerre. C’est par l’anticommunisme que l’auteur explique la rapprochement des trois intellectuels après la guerre : l’antitotalitarisme jamais démenti chez Ionesco rejoint la haine du «judéo-bolchevisme» chez Cioran et Eliade à une époque de polarisation intellectuelle.

Peut-être le ton de l’essai est-il parfois trop engagé, à la limite de l’imprécation. La richesse du travail historiographique atténue cependant un parti pris d’ailleurs légitime. On peut également discuter la thèse de la cohérence intellectuelle de ces hommes qui de leurs jeunesses à leurs derniers jours n’auraient pas changé ni regardé en face leurs passés fantômes. Cette cohérence, par des détours psychologiques que l’on peut mettre en cause, évoque la démarche analogue de Zeev Sternhell dans ses écrits sur la droite révolutionnaire française. Alexandra Laignel-Lavastine salue d’ailleurs l’historien israélien.

Ces quelques travers n’altèrent en rien l’importance de l’ouvrage. Sa démarche iconoclaste salutaire et attendue permet de comprendre que les œuvres des années cinquante, loin d’être nées sui generis en terre française, puisent à des sources idéologiques roumaines suspectes.

Ces trois itinéraires invitent à questionner d’autres parcours intellectuels. Des penseurs contemporains de ceux là, comme Heidegger, Carl Jung, Céline, Carl Schmitt, Gheorghiu (auteur fameux de La 25e heure, lui aussi légionnaire fanatique dans sa jeunesse) et bien d’autres, tout en appartenant au patrimoine intellectuel européen, n’en furent pas moins compromis aux idéologies des années noires. Cet essai porte ainsi à réfléchir sur l’essence même de la modernité et les limites géographiques et culturelles d’une Europe à laquelle, sans discussions possibles, la Roumanie appartient.


Thomas Roman
( Mis en ligne le 12/11/2002 )
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