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Histoire & sciences sociales  ->  Période Contemporaine  
 

Romans et conquêtes…
Edward W.  Said   Culture et impérialisme
Fayard 2000 /  3.71 € -  24.27 ffr. / 555 pages
ISBN : 2-213-60791-5
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Le projet du dernier livre d’Edward W. Saïd - étudier la participation de la culture à la dynamique impériale - est doublement intéressant pour les historiens. D’abord parce que ce spécialiste de littérature comparée à l’université Columbia de New York se refuse à étudier l’histoire littéraire uniquement par rapport à des évolutions stylistiques ou des préoccupations internes : il en fait au contraire une des composantes importantes des mentalités et psychologies occidentales, et c’est à ce titre qu’il s’y intéresse. L’autre protagoniste proposé par le titre, l’impérialisme, permet par ailleurs d’élargir la réflexion au delà du cadre colonial, même si c’est à travers celui-ci qu’est analysée, pour l’essentiel du livre, la relation entre l’occident et le reste du monde.

Deux axes d’étude aussi alléchants que vastes, d’où des restrictions : la culture est exclusivement lue dans les romans des nations impérialistes, essentiellement la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis. L’impérialisme n’est en revanche pas aussi clairement limité, et il faut l’entendre ici dans une perspective ouverte, qui s’appuie sur les travaux de Chomsky (soit la traditionnelle vision politique et économique revisitée par la critique structuraliste), ceux des sociologues français aujourd’hui vulgarisés par Le Monde Diplomatique (Paul Virilo et Pierre Bourdieu), et surtout ceux de Franz Fanon, sur lesquels s’appuie tout le troisième chapitre, "Résistance et Opposition", qui pourrait constituer une introduction à son ouvrage clef de 1961, Les Damnés de la terre.

Le livre suit un double déroulement : chronologique d’abord, de la fin du XVIIIe à nos jours, et d’opposition, dans le même temps, entre deux premières parties centrées sur la littérature occidentale et deux dernières, en reflet, sur les littératures post-coloniales et un éventuel avenir culturel "affranchi de la domination".

A travers des oeuvres importantes du patrimoine romanesque, choisies pour leur tonalité critique vis à vis du système colonial (Au cœur des ténèbres de Conrad), voire pour leur apparente absence de liens avec lui (Mansfield Park de Jane Austen), les présupposés coloniaux sont traqués, ainsi que leur évolution. Les années 1870 constituant, en France comme en Angleterre, une charnière : l’impérialisme s’y fait agressif (par la voix de Disraeli, mais aussi, en France, par nécessité d’y réinjecter les énergies nationalistes frustrées). Carlyle comme Ruskin, soutenant dès 1865 la répression sanglante du gouverneur Eyre en Jamaïque, s’affichent à la fois comme les représentants les plus brillants et raffinés de la culture victorienne, et, sans la moindre contradiction, comme impérialistes et racistes. Plus tard (1901), le Kim de Kipling peut se lire comme un rite de ré-appropriation de l’Inde par la Grande Bretagne (pour Kipling, fasciné par son sujet de prédilection, et peu suspect de mépris, il n’y a pas de conflit entre les deux civilisations : la situation de l’Inde, gouvernée par la Grande Bretagne, est forcément la meilleure possible). Il n’y a pas d’autonomie de la culture, et même, sans empire, pas de roman européen tel que nous le connaissons (page 122).

Globalement la thèse est irréfutable, même si dans les détails on peut reprocher à l’auteur quelques points de vue discutables (ainsi de la croissance impériale britannique parallèle à la "prédominance du roman britannique" - sic - , p.125), voire des assertions rapides, comme cette affirmation de la "destruction de l’Etat algérien" par la colonisation française (p.119). Le chapitre sur Camus, enfin, nous laisse sur notre faim : le déchirement profond dont son oeuvre se fait l’écho ne rentre pas aussi aisément dans ce schéma explicatif.

L’autre versant de la démonstration est moins aisé : ces romans, lus et admirés en leur temps, jouent-ils un rôle dans la conquête ? Ici la méthode d’Edward Saïd s’éloigne trop des exigences méthodologiques de l’historien pour ne pas le laisser frustré au bord du chemin. Ce qu’il faudrait, c’est un travail d’archive pour établir ce que lisent, et de quelle façon, les acteurs de la conquête, de l’exploitation et de la valorisation des mondes colonisés. Sans ce préalable, il n’est que des hypothèses, et la convocation de tel ou tel exemple n’a de valeur qu’illustrative, et en aucun cas explicative.

Persuadé qu’une analyse historique ou littéraire ne se déploie pas hors du temps ni de l’espace, Saïd en appelle à lire Cabral et Fanon ou les autres grandes voix du Tiers-Monde en regard des productions littéraires occidentales : ses deux derniers chapitres souhaitent alors montrer comment la littérature de résistance à l’impérialisme s’applique depuis les années 20 à détruire les "pseudo-essences" (p.426) pour mieux affirmer le caractère construit de toute représentation identitaire. Lui-même issu d’une tradition culturelle minoritaire, palestinien, chrétien protestant, de nationalité américaine, il dresse, in fine, une apologie de "la position excentrée de l’émigré" qui permet une attitude critique indispensable.

Si certains aspects de sa démonstration rappellent la vulgate anti-mondialiste si en vogue en France, s’il lui arrive aussi parfois de vouloir contraindre la réalité à rentrer dans son schéma, le livre de Saïd mérite pourtant amplement le débat qu’a provoqué sa traduction. Après tout, chaque élève occidental est amené à réfléchir sur les liens, qu’on nous dit viscéraux, et qui unirent au Ve siècle la culture athénienne et la démocratie dans la cité. Pourquoi alors se limiter à lire le XIXe siècle victorien ou le XXe siècle yankee sous les seuls angles économiques et politiques ? L’impérialisme économique ou la course au clocher des années 1880 sont des thèmes solidement analysés, le substrat culturel qui les a rendus possibles mérite aussi d’être éclairé.


Nicolas Balaresque
( Mis en ligne le 23/05/2001 )
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