L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Je vous raconterai
de Alain Monnier
Flammarion 2009 /  17 €- 111.35  ffr. / 188 pages
ISBN : 978-2-08-122862-7
FORMAT : 13,5cm x 21cm

Plaidoyer pour la grandeur en milieu contemporain

On nous vouvoie. Mais cette courtoisie montre les dents, cette politesse, loin d'être celle du désespoir, trahit une envie folle de prendre le monde entier à partie : pour exiger un miracle. Un miracle qui, rendant sa dignité au narrateur, achèverait également de relever le lecteur, d'en faire un être debout, frémissant d'une vie dénuée du déguisement de la survie, d'une vie gagnée sur la mort à la manière des polders qui s'étendent toujours plus loin, au-delà du fil de la première vague glacée.

Ne s'élance pas qui veut à l'assaut de l'impossible ; pour y parvenir il faut s'être défait de ses chaînes, avoir brûlé les décors de carton-pâte et osé se défier soi-même. L'homme qui s'est glissé dans la plume d'Alain Monnier aurait pu ne jamais cesser d'être un individu ordinaire, un enfant de l'Assistance Sociale à qui l'on a fait miroiter le mirage de la famille attablée devant la télé, du bonheur estampillé PEL, du ronronnement paisible des désirs domestiqués. Mais il a suffit de presque rien, des appétits aiguisés d'actionnaires normaux, pour que le château de cartes patiemment élaboré s'écroule sans bruit : chômage, divorce, confiscations de biens, et au bout du chemin, un coin humide sur les bords du canal Saint-Martin, imprégné d'hébétude et de résignation. Car une fois chassé du paradis pavillonnaire «il ne faut pas longtemps pour en arriver au désir banal de ne plus être là, d'en finir, d'en sortir tranquillement» (p.16).

Comment réalise-t-on dans ces circonstances qu'il «faut se tenir, il faut se comporter, toujours, en tout lieu» (p.126) ? Ce n'est certainement pas l'aiguillon de la misère qui pousse à retrouver le goût de vivre. Non. Mais quand un homme trop bien habillé pour le bar en question vous entraîne sur un chemin dangereux où, un cercle d'acier sur votre tempe, vous touchez mille euros pour avoir mis une balle dans un barillet qui pourrait en contenir six, il devient tout aussi évident que ce n'est pas non plus l'argent qui donne sa saveur à l'existence.

C'est la proximité de la mort qui rehausse chaque instant vécu, et tous ces gens qui parient, les yeux brillants, sur l'issue de ces petits jeux interdits, en sont conscients aussi bien que le narrateur qui couche sur papier, quelques instants plus tard, les émotions que cette mise en scène macabre évoque chez lui. Car tout est spectacle, sans être pour autant mensonger ; la roulette russe est une brèche vers le miraculeux, il devient le Protégé et repousse toujours plus loin l'empire des statistiques, de la petitement logique raison.

Une situation hors-norme, un personnage doué de capacités mystérieuses, des hasards surprenants et une morale impérieuse, voilà quelques-uns des éléments qui font de Je vous raconterai une fable, un conte pour adultes, d'un genre particulier qui n'est pas sans évoquer certaines ambiances chères à Amélie Nothomb – la fascination pour les dévouements extrêmes et pour l'extrême beauté, le parfum morbide ou doucement sadique d'amours sans issue, l'irruption incontrôlée du fantastique dans le quotidien, par exemple. Mais c'est une version rugueuse de cette littérature que nous propose ici A. Monnier, avec une écriture sans compromissions esthétiques, sans esprit de pose, avec des mots qui restent attrapés dans la glu d'une société souillée.

En réussissant à conjuguer en un seul faisceau les pinceaux lumineux de la dénonciation acerbe et de l'espoir d'une rédemption, l'auteur donne un élan solide à ce roman court, volontaire, et pénétrant – et perturbe durablement.

Aurore Lesage
( Mis en ligne le 09/10/2009 )
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