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Littératureet Romans & Nouvelles  

Notre oncle
de Arnon Grunberg
Editions Héloïse d’Ormesson 2011 /  23 €- 150.65  ffr. / 672 pages
ISBN : 978-2-350-87164-6
FORMAT : 13,9cm x 20,5cm

Olivier Van Wersch-got (Traducteur)

Big brother

«L’assassin des parents de Lina Siñani Huanca ne pouvait pas avoir d’enfant lui-même, aussi décida-t-il d’adopter Lina Siñani Huanca» : par cette première phrase, le livre signe son style et son décalage. L’assassin en question est un major d’une junte militaire d’Amérique latine, chargé d’écarter les opposants au pouvoir en place. La petite Lina attend sagement que ce cauchemar finisse, dormant beaucoup - «Le sommeil est une attente qui ne réclame aucune patience», évitant la femme du Major qui ne souhaite pas sa présence, mais le Major s’entête : «La faiblesse est le début de toutes les déchéances».

Cette situation déséquilibrée, cette recherche de papiers d’identité pour la nouvelle vie de Lina, cette honte d’avoir à mentir - «La honte est froide comme la mort. Peut-être la mort n’est-elle rien d’autre que le superlatif de la honte ?» -, cette interrogation sur le bien-fondé de son acte - «La confiance en soi, dont il se méfiait toujours parce qu’il craignait que ce ne fût de l’impudence, l’avait de nouveau abandonné» -, vont prendre fin avec un ordre de mission lointaine et dangereuse qui l’oblige à quitter pour de longs mois sa femme et Lina pour assurer cette mission humanitaire dont il a réclamé la direction. «Le leader doit être une source d’inspiration et l’inspiration commence par l’exactitude du vocabulaire». Lina en profite pour fuir de la maison et rejoindre une bande d’enfants errants, dans le but de retrouver ses parents ; elle entame alors une série de tribulations qui la conduiront, à l’âge adulte, à intégrer la révolution des opposants à la dictature d’une façon très particulière.

Au-delà de l’histoire, parodique, grinçante, et néanmoins plausible, l’humour déroutant, pince sans rire, blasphématoire et juste à la fois, enchante et étourdit. Le récit est truffé de petites phrases sentencieuses ou moqueuses sur toutes les situations de la vie, les passages relatifs à la stérilité du Major sont des merveilles de cruauté lucide, tous les personnages font l’objet d’une étude approfondie, implacable et drôle.

Cependant, notre oncle n’est pas un personnage, c’est une entité, un synonyme de ce qui peut peser dans notre vie, ou aider à la magnifier, une sorte de «Big Brother» subi ou choisi par l’intermédiaire parfois de la superstition. Il revêt plusieurs formes mais le fond, la dépendance à quelque chose d’effrayant et d’indispensable, reste le même.

Une philosophie de vie fortement imprégnée d’un humour corrosif et jubilatoire, 666 pages de plaisir.

Dany Venayre
( Mis en ligne le 30/01/2012 )
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