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Littératureet Romans & Nouvelles  

Nos richesses
de Kaouther Adimi
Seuil - Points 2021 /  6,70 €- 43.89  ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-7578-8899-5
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en août 2017 (Seuil - Cadre rouge)

Un homme qui lit en vaut deux

Voici l’occasion de connaître Edmond Charlot, compagnon de route d’Albert Camus, Jules Roy, Jean Giono, Frédéric Jacques Temple et de bien d’autres écrivains célèbres. Comme Camus, Charlot a comme professeur de philosophie au lycée d’Alger Jean Grenier, véritable accoucheur de talents, qui raconte au lieu d’enseigner et accompagne les pensées de ses élèves en les poussant le plus loin possible dans leur réflexion.

A travers cette exofiction, nous revoyons sa librairie, «Les vraies richesses» et nous revivons son parcours en Algérie et à Paris. Il finira sa vie à Pézenas dans l’Hérault. Ce courageux débutant tente sa chance en 1935 à 21 ans comme imprimeur-éditeur à Alger, sur les conseils de monsieur Grenier. Son grand-père, autodidacte très cultivé, lui offre une édition des Croix de feu dédicacée par Roland Dorgelès ; son père, représentant chez Hachette, le fournit en ouvrages.

Grâce à ce récit et aux écrits imaginés du carnet de bord d’Edmond Charlot (fondés sur des sources très détaillées), le lecteur découvre des anecdotes fortes sur l’univers des éditeurs, des imprimeurs, sur la période terrible de l’après-guerre, quand Charlot crée une annexe de ses éditions à Paris et que le papier manque cruellement, sans parler des coups bas des éditeurs parisiens qu’il concurrence sérieusement.

Par un subterfuge astucieux, Kahouter Adimi fait alterner les époques : entre les extraits du journal de Charlot, l’histoire douloureuse de l’Algérie annexée par la France depuis 1830, les soubresauts violents de l’histoire franco-algérienne et le présent immédiat, elle nous dresse un tableau subtil qui aide à comprendre un pays, une ville, son quotidien, et la difficulté de vivre ensemble pour les deux communautés.

Les regards de trois hommes font revivre cette minuscule librairie dans une ruelle d’Alger : Edmond Charlot a voulu partager sa passion pour les livres ; au fil du temps, la librairie devient une bibliothèque de prêt et Abdallah, le nouveau maître des lieux, en gardien du temple, protège les livres ; enfin en 2017, Ryad, le jeune étudiant, investit les lieux pour tout vider et débarrasser. «Mon engagement doit être absolu. C’est ainsi que je conçois mon travail. L’écrivain doit écrire, l’éditeur doit donner vie aux livres. Je ne vois pas de limite à cette conception. La littérature est trop importante pour ne pas y consacrer tout mon temps».

Une chronique du temps qui passe, peuplé des fantômes de grands écrivains, porteur de la blessure causée par l’indépendance de l’Algérie et le départ des Français. C’est aussi un récit sur la transmission et l’apprentissage. L’écriture est moderne, solaire, précise ; d’une plume légère, Kahouter Adimi guide le lecteur dans Alger et dans cette librairie. Un joli conte empli d'humour, de poésie et de fantaisie, brossant un portrait émouvant de ce «passeur de livres», pionnier et homme d’exception dans une période peu propice aux artistes, le portrait aussi d’Alger, cité héliotrope. Comme le rêve d’une communauté artistique et littéraire ouverte et pacifique, et l'espoir de réunir les deux rives de la Méditerranée.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 22/02/2021 )
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