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Littératureet Romans & Nouvelles  

Peur
de Dirk Kurbjuweit
Delcourt 2018 /  20 €- 131  ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-413-00039-6
FORMAT : 13,5 cm × 22,0 cm

Denis Michelis (Traducteur)

Menace au sous-sol

. «C’est un roman sur le lien entre l’individu et la société, le rôle de la loi et ses limites. Un homme civilisé confronté à la barbarie», écrit l’écrivain allemand Dirk Kurbjuweit. En effet, le narrateur de Peur, Randolf Tiefenhäler, architecte marié et père de deux enfants, raconte à la première personne ce que, lui, taiseux, n’a pas pu affirmer à voix haute : comment, dans son appartement cossu de Berlin, son voisin étrange du sous-sol, Tiberius, a modifié sa vie. La fin de cette histoire, dès le début, nous pensons la connaître : le père du narrateur, grand collectionneur d’armes, a tiré sur ce voisin. Mais le dénouement n’est pas le plus important. L’essentiel de Peur, c’est l’exposé détaillé de tout ce qui a conduit à ce meurtre.

Pourquoi? Comment en est-on arrivé là ? Cet éclaircissement est l’objet de tout le récit, dans lequel le lecteur entre facilement et avec plaisir, de plus en plus curieux de ces événements successifs relevant presque du fait divers et de l’écriture journalistique. Dirk Kurbjuweit, rédacteur en chef-adjoint au Spiegel depuis 1999, confesse que Peur est inspiré de sa propre histoire : «en écrivant, j’ai replongé dans l’enfer, mais aucunement dans le souci de me délivrer de quoi que ce soit. J’y suis revenu dans le rôle du diable. J’ai réordonné l’enfer et décidé qui allait souffrir et comment».

Peu à peu, on en apprend plus sur la façon dont ce voisin étrange est devenu de plus en plus harceleur, envahissant, inquiétant, effrayant, pervers. Mais la peur qu’il inspire est aussi en lien avec l’enfance du narrateur, qu’il nous raconte en parallèle : «j’avais toujours cru un père capable de commettre un massacre. Dès qu’il était question d’une tuerie aux informations, je retenais mon souffle jusqu’à ce que le nom d’un coupable tombe. Pure paranoïa, j’en conviens. Mais nos peurs d’enfant ont la peau dure». À son enfance pendant la guerre froide et à son rapport à son père succède aussi le récit de sa vie d’adolescent, puis de jeune étudiant, de sa rencontre avec sa future femme, de ses premiers pas comme jeune père. Il confronte sans cesse sa position sociale (il appartient à ce qu’il nomme la classe moyenne supérieure) avec ce qui lui arrive face à ce voisin issu de la DDASS, et analyse sans cesse comment les événements modifient son rapport à sa femme ou à ses enfants.

Ces allers retours incessants entre différentes périodes donnent du rythme au récit et attisent toujours plus l’intérêt. On est pris par ce mélange subtil entre chronique de vie et roman noir, entre roman social et thriller psychologique. La tension monte face à une justice impuissance, et si certains moments sont un peu longs, un peu répétitifs ou plats lorsque l’auteur se perd dans des descriptions trop méticuleuses, il n’en demeure pas moins que ce roman marque, et que l’on ne pourra plus en le refermant s’installer dans un appartement sans vérifier qui habite au sous-sol…

Julie Malapert
( Mis en ligne le 12/03/2018 )
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