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Littératureet Romans & Nouvelles  

Abraham le Poivrot
de Angel Wagenstein
L'Esprit des péninsules 2002 /  21 €- 137.55  ffr. / 330 pages
ISBN : 2846360324

traduit du bulgare par Veronika Nentcheva et Eric Naulleau.

Un monde ressuscité

A travers ces merveilleuses (et tragiques) chroniques balkaniques ressuscitées sous le prisme angélique de l’enfance, Angel Wagenstein entreprend l’impossible voyage dans le temps, dans des univers oubliés. Il tente de refaire vivre sa communauté disparue, les Juifs séfarades expulsés de l’Espagne inquisitoriale et qui perpétuèrent leur tradition dans la petite ville de Plovdiv, en Bulgarie. C’est aussi le monde cosmopolite d’avant guerre qu’il tente de retrouver par l’évocation de son grand père, Abraham le Poivrot, juif agnostique qui réunissait autour de son magistère de bon vivant les pasteurs des trois religions du Livre présents à Plovdiv.

Ce livre est un petit Cinéma Paradisio balkanique, la tentative de résurrection d’un monde doublement enfoui par les remous de l’Histoire et par la sortie de l’enfance – sortie définitive ? Où vont nos souvenirs ? Les figures aimées, les émotions fondamentales de l’âge tendre sont-elles vouées à l’oubli complet ? Ou continuent-elles une existence autonome dans quelque univers parallèle dont chacun d’entre nous serait avisée de rechercher les clefs ? Derrière ces interrogations naïves qui sous-tendent ce livre nostalgique, on sera frappé par la profonde réflexion d’ Angel Wagenstein sur l’âme, le chapelet des générations etc. Et aussi sur l’héritage ambigu des Lumières : la modernité rend l’homme plus libre mais également plus seul. L’homme nouveau se paye au prix de l’oubli, de l’annihilation des mosaïques communautaires et de leurs richesses.

Effectuant d’incessants glissements entre le passé et le présent, Angel Wagenstein concocte un loukoum balkanique qui n’est jamais indigeste – ni trop sucré ni trop aigre, il parvient à un subtile mélange des deux. Fin, enjoué, drôle, et finalement aussi triste que nostalgique (ce qui n’est pas peu dire), ce livre mobilise toute la palette des sentiments humains, dont en premier lieu l’amour, sentiment qui l’innerve de tout en bout, depuis Abraham jusqu’à la belle arménienne Arexia, amour d’enfance un instant retrouvé et ressuscité. Car, et c’est la leçon de ce petit récit délicieux, il est sage d’aimer sans retenue.

Vianney Delourme
( Mis en ligne le 12/11/2002 )
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