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Littératureet Classique  

Une hermine à Tchernopol
de Gregor von Rezzori
L'Olivier 2011 /  26 €- 170.3  ffr. / 460 pages
ISBN : 978-2-87929-592-3
FORMAT : 14,6cm x 22cm

Catherine Mazellier (Traducteur)
Jacques Lajarrige (Traducteur)


''Terre de personne''

Depuis 2003, les éditions de l’Olivier ont initié la réédition d’une partie de l’œuvre de Gregor von Rezzori et l'on ne peut que se réjouir de l’accès qu’auront désormais les lecteurs de langue française à une littérature que l’on pourrait presque qualifier de miraculeuse tant on peut s’étonner qu’une telle œuvre ait pu rester sous le boisseau si longtemps. Mise à part la publication en 1990 des Mémoires d’un antisémite à l’Age d’Homme, les éditeurs francophones ont mis bien du temps à s’intéresser à celui qui est considéré comme le dernier écrivain de l’empire austro-hongrois, dans la lignée de Robert Musil ou de Joseph Roth. Rezzori est né en 1914 en Bucovine, province de l’empire qui échoit à la Roumanie après le traité de Saint-Germain-en–Laye en 1919. Aujourd’hui partagée entre l’Ukraine et la Roumanie, après avoir été pro-nazie mais aussi soviétique, cette «terre de personne» comme l’a dénommée Rezzori est au centre de ses écrits.

Ainsi, la ville de Tchernopol (au cœur de la fictive Teskovine), où est situé le récit que nous proposent pour la première fois en français les éditions de l’Olivier (dans une traduction admirable de Catherine Mazellier et Jacques Lajarrige), est une cité imaginaire qui aurait toute sa place en Bucovine. La Première Guerre mondiale vient de se terminer, et, dans ce territoire en pleine recomposition, se mêlent des populations aux multiples origines. Différents nationalismes se côtoient sans désormais avoir pour maître l’empereur qui unit ses sujets. Les tensions s’exacerbent et s’y ajoute un antisémitisme de plus en plus virulent. Une hermine à Tchernopol est l’histoire d’un monde qui s’effondre : les anciennes valeurs sont devenues obsolètes en quelques années, un ordre nouveau se met en place mais certains ne peuvent comprendre ou supporter les profondes mutations qui s’opèrent.

Le major Tildy est de ceux-là. Ancien officier de l’armée impériale, il sert désormais le nouveau maître, mais sa naissance - il est allemand et aristocrate - tout comme son code de l’honneur l’enferment dans un système de valeurs qui n’a plus cours. Il est l’hermine de Tchernopol, qui ne peut être souillée sans en mourir. Il est aussi un mythe dans les yeux de l’enfant, devenu adulte, qui nous raconte cette histoire. Car c’est aussi un roman d’apprentissage que nous offre Rezzori et une profonde réflexion sur le monde de l’enfance, sa puissance et sa fin, inévitable. Le long récit des événements qui agitèrent la ville de Tchernopol est le lent mouvement durant lequel le monde, composé d’absolus et de mythes, devient progressivement une réalité douloureuse et insatisfaisante à laquelle l’enfant doit pourtant s’accommoder. Rezzori décrit admirablement le goût de perte irréparable que laisse ce passage et combien la vie d’après se passe avec l’impression d’avoir déjà vécu et de n’être qu’un ersatz.

Tchernopol, où l’enfant voit l’inflexible major Tildy défendre un code de l’honneur suranné et incompris, n’est pas qu’un cadre pour ce roman. Parmi les personnages qui foisonnent, Tchernopol est sans doute le premier acteur. La langue bouillonnante et foisonnante de Rezzori rend à merveille l’atmosphère de cette ville métissée où «le rire avait été élevé au rang d’un art». A Tchernopol, où l’esprit de sérieux est considéré comme un exotisme, les destinées individuelles, si elles s’achèvent souvent dans un rire fracassant, sont toutes sublimées par l’esprit et la langue prodigieuse de Rezzori.

Amélie Bruneau
( Mis en ligne le 21/09/2011 )
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