L'actualité du livre
Littératureet Littérature Américaine  

La Relation de mon emprisonnement
de Russell Banks
Actes Sud - Babel 2015 /  6.80 €- 44.54  ffr. / 147 pages
ISBN : 978-2-330-03938-7
FORMAT : 11,0 cm × 17,5 cm

Rémy Lambrechts (Traducteur)

Monologue obsessionnel

Russell Banks est un écrivain américain né en 1940, connu notamment pour deux livres qui ont été adaptés au cinéma, non sans talent et succès : Affliction (1989) et De beaux lendemains (1991) peignent une Amérique à la fois glaciale (cela se passe dans des zones arides), sensible (les personnages sont seuls et couvent un drame) et désertique (on est loin des foules new-yorkaises). C'est un peu le cas aussi dans ce curieux roman : La Relation de mon emprisonnement (1983). Un charpentier (la référence christique ne lâchera plus le récit) spécialisé dans la confection de cercueils se voit interdit de pratiquer son activité avant de se faire emprisonner devant son refus d'obtempérer. Là, il va analyser sa condition de détenu voué à la construction de cercueils et à son sacrifice permanent aux morts.

Cela commence comme Le Procès de Kafka (on arrête un individu sans raison valable pour le placer au cœur d'un rouage carcéral absurde et inextricable) pour finir ironiquement, à la Buzzati : le narrateur finit par fermer son propre cercueil. on pense aussi aux Notes d'un souterrain de Dostoïevski pour le monologue obsessionnel et monomaniaque, même si la narration est un peu plus dogmatique.

C'est donc sa relation à sa propre intériorité que tente de décrypter le personnage, détenu solitaire obsédé par la reprise de son activité et son hommage spirituel aux défunts (teinté de psaumes religieux). La langue fourchue, les techniques narratives quelque peu scolaires, le style "préfabriqué" bien que parfois élégant font de cette relation un bloc fermé tel un cercueil justement, un caveau (la cellule en est la préfiguration) dans lesquels s'agite une âme à la fois excitée et à l'agonie.

Quelques bonnes ruptures de ton (avec une scène échangiste quelque peu surprenante dans une cellule), de cycle (le geôlier qui se sacrifie) et de techniques narratives (la formation d'une association de détenus) permettent au lecteur de s'attacher à ce monologue intérieur psychologisant et surprenant de par sa forme et son propos.

Mais Banks n'est ni Kafka, ni Dostoïevski et son récit, s'il témoigne d'une singularité et d'une sensibilité réelles, ne permet pas d'aller au-delà de la parabole ; le symbole métaphorique que l'on croyait fort finit par s'éteindre lui-même à son tour. Banks réalise certes un tour de force mais il ne parvient pas à toucher complètement la grâce dans ce récit carcéral. Il faudrait le relire peut-être mais son style quelque peu pesant nous dissuade de le faire. C'est cette question de l'écriture qu'il faudrait donc explorer mieux, pour comprendre les enjeux, autres que ceux classiques, de la solitude, du désir, de la mort et d'un monde moderne froid et implacable tels qu'ils sont décrits ici.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 26/01/2015 )
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