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Entretien avec Christian Libens - La Belgique de Simenon - 101 scènes d'enquêtes (Weyrich Edition, Janvier 2016)



- Christian Libens, Michel Carly, La Belgique de Simenon - 101 scènes d'enquêtes, Weyrich Edition, Janvier 2016, 268 p., 33€, ISBN : 978-2-87489-337-7

Lieux simenoniens

Parutions.com : Un livre de plus sur Simenon, donc… N’y en avait-il déjà pas assez de disponibles sur le marché ? En somme, trop de Simenon ne tue-t-il pas Simenon ?

Christian Libens  : Peut-être bien, comme il y en a sans doute trop sur Proust ou sur Céline… Tant de spécialistes dûment titrés s’emploient à découper l’œuvre des écrivains comme s’ils autopsiaient des cadavres ! Ce sont les médecins légistes de la littérature, ces docteurs certifiés par l’Université qui prétendent réduire une œuvre artistique à un champ d’étude. Notre livre est infiniment plus modeste, il est l’œuvre de deux amateurs, c’est-à-dire de deux amoureux de l’œuvre de Simenon ; et notre seul but est de (re)conduire notre lecteur vers ses grands romans.

Parutions.com : Pourquoi, à votre avis, Simenon est-il un auteur universel et toujours actuel ? Quel bénéfice l’homme du XXIe siècle peut-il retirer de sa fréquentation ?

Christian Libens  : Simenon, c’est le Dostoïevski du XXe siècle ! C’est Pol Vandromme qui le premier a parlé de romancier russe à propos de son compatriote. L’univers de Simenon est aussi familier à un lecteur de New York que de Moscou, de Buenos Aires que de Tokyo (et si je cite ces villes, c’est parce qu’elles comptent comme tant d’autres des cercles de lecteurs simenoniens). Pour ma part, je considère l’œuvre de Simenon comme un véritable viatique ; la lecture de ses romans m’aide à vivre tant sa vision de l’humain est compassionnelle. Quand on «habite» un roman de Simenon, on se sent moins seul, on peut partager son angoisse existentielle…

Parutions.com : Comment avez-vous travaillé pour concevoir ce livre ? Car on suppose, rien qu’à le feuilleter, que la masse documentaire en amont, est considérable, et que le tri n’a pas dû être facile…

Christian Libens  : Mon complice Michel Carly a fait un formidable travail de recherche, entre autres dans les archives privées de la famille Simenon mais aussi celles de particuliers. Et ses recherches ont été tout aussi fructueuses pour l’illustration de l’ouvrage, particulièrement grâce à la parfaite collaboration des services de police liégeois, ce qui nous a permis d’offrir à notre lecteur une iconographie le plus souvent inédite.

Parutions.com : Peut-on dire que Simenon – qui est parti de Liège au début à vingt ans à peine et ne reviendra que très sporadiquement dans son pays natal – aimait la Belgique ? Quelle était la véritable nature de la relation que pouvait entretenir un tel «errant enraciné» avec l’identité belge, sans parler bien entendu d’une quelconque «belgitude» ?

Christian Libens  : J’aime beaucoup votre expression «un errant déraciné»… Je ne manquerai pas de la reprendre ! A mon avis, Simenon ne devait pas plus aimer la Belgique que les Pays-Bas, la France ou la Suisse ! Je ne crois pas que le romancier était attaché à un pays plutôt qu’à un autre. Il a d’ailleurs refusé de devenir Français. Son attachement est plus manifeste, tant dans les interviews que dans ses livres, pour une ville ou pour un endroit donné, comme La Rochelle, l’île de Porquerolles ou tel quartier de Paris. Je n’ai perçu aucune belgitude avant la lettre chez lui, mais il est manifeste que Liège, sa ville natale, et particulièrement le quartier d’Outremeuse, est le creuset fondateur de l’homme comme de son œuvre. Il a déclaré dans une interview : «A 70 ans, j’agis, je pense, je me comporte comme l’enfant d’Outremeuse». Liège a fait Simenon, il lui faudra donc la fuir… Et c’est le monde entier qui le modèlera !

Parutions.com : Vous apportez divers éclairages sur des aspects méconnus ou peu envisagés de l’œuvre comme de la personnalité de Simenon. Mais reste-t-il, en Belgique du moins, des zones d’ombre de la biographie de Simenon à explorer ?

Christian Libens  : Il reste toujours des zones d’ombre dans la vie de chacun. Malgré tous ses biographes, malgré toutes les études menées autour de l’homme et de son œuvre, Simenon gardera sa part de secrets, comme tout homme. Le Stavelotain Michel Lemoine était le plus savant encyclopédiste de la planète Simenon, un vrai Pic de la Mirandole ! Il vient hélas de nous quitter.

Parutions.com : Vous revenez largement sur l’épisode lié au frère de Georges, Christian Simenon, dont on sait qu’il a fait l’objet récemment d’une manière de «faction» sous la plume de Patrick Roegiers. Qu’avez-vous pensé de cette publication et quelle est votre propre regard sur l’attitude de Georges Simenon dans cette affaire ?

Christian Libens  : Nous exposons, documents à l’appui, les faits historiques, et nous donnons la parole a un avocat qui a examiné les dossiers judiciaires de l’époque : Christian Simenon s’est bien rendu coupable de crime. Mais induire un amalgame entre les deux frères comme le fait M. Roegiers dans son livre est malhonnête et rappelle un peu la fable de La Fontaine «Si ce n’est toi, c’est donc ton frère…». Le livre de M. Roegiers, qu’il déguise en roman pour se permettre d’écrire tout et n’importe quoi à l’égard de la vérité historique et de l’honneur de personnes décédées, est une entreprise commerciale et publicitaire afin de gonfler une notoriété défaillante. Reste un «roman» ennuyeux et mal écrit.

Parutions.com : La pire question à adresser à un simenonien : sur l’île déserte, lequel de ses romans emportez-vous, et pourquoi ?

Christian Libens  : Ce n’est pas une question que vous nous proposez là, c’est une torture mentale ! Simenon a écrit au moins une vingtaine de purs chefs-d’œuvre… Parmi les quelque deux-cents romans qu’il a signés de son patronyme, ceux repris dans les trois volumes de La Pléiade nous paraissent un choix intéressant… Pour commencer ! J’avoue quand même que nous nous sommes risqué à l’exercice à la fin de notre livre dans un bref chapitre intitulé «Que choisir ? Les essentiels de Simenon…». Alors, je vous confie très subjectivement nos préférés, nos favoris… Lisez La Neige était sale ! Lisez Lettre à mon juge ! Lisez Les Anneaux de Bicêtre, Le Train, La Mort de Belle

Propos recueillis par Frédéric Saenen (Mars 2016)
( Mis en ligne le 13/04/2016 )
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