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Littératureet Poches  

Cartel
de Don Winslow
Seuil - Points policier 2018 /  9,70 €- 63.54  ffr. / 881 pages
ISBN : 978-2-7578-6947-5
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication française en septembre 2016 (Seuil)

Jean Esch (Traducteur)


La guerre oubliée

Don Winslow poursuit dans Cartel sa plongée dans le monde du trafic de drogue au Mexique, commencée il y a plus de dix ans avec La Griffe du chien. Il reprend les mêmes personnages centraux, Adan Barrera, ''patrón'' du cartel de Sinaloa, et Art Keller, agent du DEA, l’agence fédérale américaine antidrogue. Après avoir été amis quand ils étaient jeunes, ils sont ennemis depuis trente ans, et leur affrontement sert de nouveau de trame au récit, qui couvre cette fois la période récente, les années 2004-2012. En multipliant autour d’eux les personnages et les points de vue narratifs, Cartel raconte comment le trafic continue et comment la situation qui le crée et qu’il crée empire et tourne progressivement à la catastrophe. C’est un livre plus ambitieux que La Griffe du chien, magnifique et effrayant, qui habille la réalité dans la fiction pour entraîner le lecteur dans une guerre de la drogue qui a réellement eu lieu au Mexique entre 2006 et 2012, avec ses ambitions personnelles, ses luttes de pouvoirs, ses alliances, ses trahisons et ses victimes, et qui fit quelques cent-mille morts.

De Ciudad Juarez à Nuevo Laredo et Matamoros, du Sinaloa au Michoacan (il y a une carte dans le livre, pour s’y retrouver), c’est une surenchère de violence, qu’on croirait sortie d’une série B de médiéval gore, mais qui est malheureusement inspirée de faits réels, dont la presse a porté les échos jusqu’en Europe : viols, assassinats, fusillades, massacres, fosses communes, tortures, personnes brûlées ou écorchées vives, démembrées, coupées en morceaux, villes, villages et vallées entières qui se vident devant une sauvagerie sans limite, au service d’une stratégie de terreur, que les auteurs revendiquent et mettent en scène à coups de vidéos de torture postées sur internet, de banderoles affichant des slogans à leur gloire ou appelant à les rejoindre, de cadavres pendus à des ponts ou abandonnés décapités en pleine rue. Les descriptions sont effrayantes mais jamais gratuites, car Don Winslow veut montrer ce qu’il s’est passé au Mexique pendant ces années, montrer comment des régions entières et leurs habitants, en général les pauvres, ont pu être abandonnés et laissés sans défense face aux cartels et leur ''sicarios'', leurs tueurs, ou aux polices qui leurs sont liées et à l’armée mexicaine qui ne vaut pas mieux.

La sauvagerie qui imbibe Cartel rappelle celle décrite par Cormack McCarty dans Méridien de sang, qui se déroulait dans les mêmes régions au milieu du XIXe siècle. Mais Don Winslow ne croit pas au déterminisme. Cette guerre et ses victimes sont celles de la cocaïne, dont il explique les ressorts économiques en même temps qu’il dénonce clairement le rôle des États-Unis dans le drame mexicain. Leur immense demande intérieure entretient le trafic, leurs armes alimentent la spirale de violence, leurs banques blanchissent l’argent de la drogue et leur indifférence les amène à tolérer à leurs portes une guerre meurtrière et terroriste et des violations massives des droits de l’Homme.

Cartel est donc un roman qui tient aussi de l’essai et du reportage de guerre. Comme une sorte de monument aux morts, le récit s’ouvre sur une impressionnante liste de plus de 100 noms, ceux de journalistes assassinés ou disparus au Mexique pendant le période couverte par le récit. C’est un hommage à ceux qui ont eu le courage de résister à la terreur des cartels, tout simplement en essayant de témoigner et de dire la vérité.

Antoine Picardat
( Mis en ligne le 04/04/2018 )
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