L'actualité du livre
Littératureet Récits  

Patagonie intérieure
de Laurence (Lorette) Nobécourt
Grasset 2013 /  12.90 €- 84.5  ffr. / 110 pages
ISBN : 978-2-246-80642-4
FORMAT : 11,8 cm × 18,8 cm

Le verbe ou le vide ?

Pour les besoins d’un livre qu’elle est en train d’écrire (Grâce leur soit rendue, paru en 2011) mais surtout pour réaliser un vieux rêve, Lorette Nobécourt s’envole pour le Chili, à la découverte de la Patagonie et de la Terre de Feu, aux confins du monde. En se confrontant ainsi à sa solitude au sein d’une nature sauvage et hostile, elle entend faire l’apprentissage de ses propres limites et éprouver sa liberté. Fuyant les autres et une douleur dont elle ne dit rien ou si peu, à la recherche d’une «Genèse intérieure», la jeune femme descend vers le sud, persuadée à chaque étape que «le voyage commence», qu’enfin une vérité sacrée va être dévoilée, dans l’«envers» des apparences. In fine, elle comprendra, comme Proust avant elle – et de quelle autre manière ! –, que le seul territoire qui vaille d’être exploré, c’est la littérature.

La littérature, voilà, à n’en pas douter, la véritable affaire pour Lorette Nobécourt, qui le prouve à grands renforts de citations, tout au long de ces carnets de voyage en forme de fragments. Rilke, Hugo, Loti, Genêt, Neruda, Saint-Exupéry, Bataille, et bien d’autres : toutes ces illustres figures sont convoquées pour attester un statut d’écrivain, que, par ailleurs, le style en lui-même a bien du mal à forger – et pour cause ! Car, si, au cours de son périple, l’auteur se refuse définitivement à jouer les touristes pour se draper dans sa quête d’artiste exigeante, elle n’échappe ni au cliché ni au conformisme qu’elle met pourtant tant d’énergie à dénoncer. C’est même tout le contraire ! A chaque page, l’écriture est émaillée de poncifs éculés : «Je suis toujours troublée par cette façon qu’ont les murs d’être les témoins silencieux des époques» ; «On atteint la profondeur par le retournement» ; «Il y a là un aveugle avec sa femme. Il verra la Patagonie comme aucun de nous ne la verra jamais» ; «En Patagonie, on prend facilement en haine les appareils photo» ; «Lorsque j’ai froid, je pense à Auschwitz et je me souviens que je n’ai jamais eu froid».

Alors, bien sûr, l’auteur s’essaie, ici ou là, au «stupéfiant image» cher à la poésie surréaliste : «A la frange de mes cuisses, les rouges-gorges sont tous morts» ; «Je voudrais mettre un chien contre mon ventre pour ouvrir les images». Pas sûr que ce soit mieux ! En effet, chez elle, point de rencontre fortuite sur une table de dissection… Lorsque télescopage il y a, c’est seulement celui, désespérant, de la banalité et de la facilité : «Le corps sait, il témoigne en vérité de ce que le corset du bavardage recouvre».

De cette tentative de géographie intime, pas grand-chose à retenir donc, si ce n’est un bilan carbone certainement trop coûteux ! N’est pas Blaise Cendrars – l’auteur de la magnifique Prose du Transsybérien est lui aussi nommé – qui veut ! C’est une sorte d’«envers» du verbe que l’on voit ici advenir, un vide assez exemplaire d’une certaine «littérature sans estomac», selon la formule de Pierre Jourde, caractéristique de notre époque, qui nous laisse résolument sur notre faim !

Sarah Devoucoux
( Mis en ligne le 12/07/2013 )
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