L'actualité du livre
Littératureet Fantastique & Science-fiction  

La Clé de l'abîme
de José-Carlos Somoza
Actes Sud - Lettres hispaniques 2009 /  22,50 €- 147.38  ffr. / 380 pages
ISBN : 978-2-7427-8492-9
FORMAT : 14,5cm x 24cm

Traduction de Marianne Millon.

Dieu mourra

Nous sommes dans un monde autre, à des milliers d'années du nôtre, après ''la chute de la Couleur''. Mais un monde assez semblable au nôtre aussi, et les premières pages du roman accentuent cette impression de familiarité. Daniel Kean, employé du ''Grand train'' se dirigeant vers Hambourg, se retrouve enrôlé dans un acte de terrorisme. Klaus Siegel s'est transformé en bombe humaine, ayant charcuté son corps avec un système complexe de lames et de fils électriques, et menace de tout faire sauter s'il n'atteint pas son but : communiquer des mots à Daniel. Pourquoi Daniel ? Nul ne le sait. Mais la Bible l'avait prédit : il est le mesenja...

Le texte sacré, dit Bible de l'Amour et de l'Art, dont chacun des chapitres vaut un culte au sein de différentes sectes, régit spirituellement ce monde d'après la chute. Le texte prophétise également la mort de Dieu, qui surviendra quand les hommes auront retrouvé, à l'aide du mesenja, la ''clé de l'abîme''. De quoi aviver tous les fanatismes : Daniel, plutôt agnostique, se retrouve au coeur d'une intrigue opposant différentes tribus religieuses, plus ou moins dépendantes d'un être manipulateur, au nom de Vérité. Malmené, sauvé, trahi à tour de rôle par chacun des personnages qu'il rencontre, le mesenja parcourt le monde, de l'Allemagne au Japon en partie englouti, jusqu'aux îles du Pacifique Sud, comprenant peu à peu ce dans quoi il se retrouve impliqué... Avec pour destination finale, la fameuse clé et la confrontation avec la Vérité...

Le monde décrit à force détails (trop ?) par José Carlos Somoza relève de la plus pure science fiction, dans un hommage appuyé aux classiques du genre. Un monde où les individus, à quelques exceptions prés (les ''biologiques'', tel Hector Darby, homme décidé à en découdre avec la vérité), sont le fruit de la génétique, des êtres plastiquement parfaits, sexuellement peu différenciés, et soumis à un totalitarisme insidieux, religieux donc, où la peur gouverne tout. Un monde inquiétant donc, angoissant, toujours plus alors que défilent les pages.

On ne peut ainsi nier à l'auteur la richesse de son imagination et son habilité à habiller d'oripaux SF un propos très contemporain sur les ravages de la religion. Dans ce monde, la foi fonde les pouvoirs de chaque personnage, telle Maya, esclave chercheuse de morts dans les tréfonds de l'Afrique, et d'autant plus lucide qu'elle est aveugle ; elle est l'alliée de Daniel. Ou Tourmaline, dite ''la blonde'', créature génétiquement parfaite, améliorée dans le seul but de jouir et tuer. Sa chevelure est une arme, chacun de ses cheveux pouvant transpercer n'importe qui et n'importe quoi... Tourmaline est indubitablement une méchante.

Mais l'impression finale, au sortir de la lecture, est mitigée. Fascinant de prime abord, l'univers façonné par Somoza finit par lasser. L'exploration de ce monde post-apocalyptique et l'avancée dans un jeu de piste où tous les personnages apparaissent comme de simple pions, fatiguent, jusqu'à un dénouement révélant heureusement les intentions de l'auteur, et plus abouti que le coeur du texte. Du coup, on ne sait que penser de ce roman d'anticipation peut-être trop ambitieux, dans lequel l'auteur même se serait perdu, victime de sa propre imagination... et de ses peurs.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 12/10/2009 )
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