Littérature
Fantastique & Science-fiction de Jean-Philippe Jaworski
Les Moutons Electriques - La bibliothèque voltaïque 2013 / 23 €- 150.65 ffr. / 297 pages
ISBN : 978-2361831004
FORMAT : 17,8 cm × 21,7 cm
Pépite, pépite !
Le roman démarre sur un esquif ralliant l’île des vieilles, une île interdite et ses créatures, les Gallicènes, plus démons que femmes, aux pouvoirs de divination. Des créatures à qui le narrateur va raconter son histoire. Ce narrateur, c’est Bellovèse, fils de Sacrovèse, un prince, un roi même, mais un roi sans couronne, dont le père a été tué par son propre frère, Ambigat, le haut-roi… Épargné avec son frère et sa mère, Bellovèse est en quelque sorte exilé à Attegia, loin du pouvoir. Mais il constitue toujours une menace !
Jusque-là, on dirait un peu Shakespeare et son Hamlet, mâtiné de légende arthurienne, mais la suite est plus surprenante. Car Ambigat requiert ses neveux pour la guerre… et accessoirement, la disparition des dits neveux, encore jeunes et loin d’être des guerriers, est un accident plus que plausible. Oui mais voilà, percé d’une lance, Bellovèse ne meurt pas. La rencontre entre Highlander et Hamlet alors ? Non, car là où le film de Russell Mulcahy déroulait la vie de son immortel sans trop se poser de questions, Bellovèse s’en pose, lui des questions, et part en quête de réponses, et d’un destin. De l’île des magiciennes au royaumes celtes, Bellovèse va déjà faire son apprentissage de guerrier.
D’emblée, la lecture est entraînante, intrigante : aux côtés du narrateur, on découvre à tâtons l’histoire, le décor, le monde. On est en Gaule, dans un temps où les Romains ne sont pas encore maîtres du pays. Une Gaule celtique donc, peuplée d’Arvernes, d’Ambrones, de Bituriges, une Gaule chevelue, où les royaumes se livrent à des guerres compliquées, selon des rituels compliqués, et où les calculs politiques valent bien ceux de la république romaine. Et le lecteur, aux côtés de Bellovèse, fait son tour de Gaule, et son initiation, d’adulte, porteur d’une histoire familiale tragique, mais aussi de guerrier et, quelque part, d’élu. Un héros émerge…
On l’attendait, au tournant ou comme le Messie, mais on l’attendait, le nouvel opus de Philippe Jaworski : après un brillant recueil de nouvelles, Janua Vera, et un roman de ''fantasy'' extraordinaire (Gagner la guerre), les lecteurs et fans se demandaient s'il pourrait, sinon faire mieux, au moins aussi bien. La réponse est sans appel, qui confirme le talent du bonhomme : c’est aussi bon, et diablement prometteur, on quitte le vieux royaume, ses complots et ses bagarres, pour une Europe plus ancienne, antique même, et celtique, mais tout autant violente et magique.
Dans une belle édition cartonnée, ornée et classieuse des Moutons électriques – si vous aimez les beaux livres au prix des moches, il faut se faire plaisir –, ce nouveau roman, qui annonce une trilogie, est réussi. On retrouve Jaworski et son sens du décor, des personnages et de l’action, le réalisme qui vous prend à chaque page, et cette manière de s’approprier un monde, un univers, comme ça, l’air de rien. Du celtique, mais pas du toc : derrière ce style fluide, on sent la touche du créateur de jeux de rôle, habitué à ne pas limiter un univers aux seuls protagonistes de son histoire et il y a là, au passage, une école française (avec Cédric Ferrand récemment) qui mérite plus que le détour.
Seul inconvénient de l’affaire : le Jaworski est addictif, terriblement, et il va désormais falloir attendre la suite, car «cela ne fait que commencer». Quand l’un des meilleurs auteurs de fantasy du moment se met au celtique, pourquoi bouder son plaisir ?!...
Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 30/09/2013 )
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