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Littératureet Policier & suspense  

La Semaine du rabbin - Tome 2
de Harry Kemelman
La Découverte - Pulp fictions 2006 /  24 €- 157.2  ffr. / 764 pages
ISBN : 2-7071-4968-3
FORMAT : 13,0cm x 20,0cm

Vivement dimanche ?

Avec le deuxième tome de La Semaine du rabbin (en référence aux titres de la série, qui déclinent les jours de la semaine), La Découverte, dans sa collection «Pulp Fictions», achève la publication des enquêtes du rabbin Small (il manque toutefois des titres «hors semaine» : «un jour, le rabbin..»)… et la conclusion s’impose : une semaine, c’est bien court. Un premier tome (vendredi, samedi, dimanche et lundi) nous avait fait découvrir, ou redécouvrir, la petite communauté de Barnard’s Crossing, cité côtière américaine proche de Boston, au beau milieu des années 70. Avec ce second et dernier tome (mardi, mercredi et jeudi), les lecteurs, désormais familiarisés avec les us et coutumes d’une petite communauté juive nord américaine, agitée par quelques querelles et drames divers, cancans et jalousies, mais où le crime rôde par endroits, achèvent cette collection d’enquêtes exotiques.

L’adjectif exotique peut sembler déplacé (au vu de la littérature policière contemporaine, la société américaine, endeuillée par d’innombrable crimes, est certainement l’une des plus scrutée par les amateurs de polars), pourtant, les enquêtes du rabbin Small apparaissent très vite originales, hors norme dans leur déroulement : tant par le rythme de l’écriture, que par les artifices littéraires utilisés, Harry Kemelman se situe à mi-chemin du roman policier et du roman ethnologique.

Chaque «journée» est l’occasion d’une promenade instructive dans la religion juive, aux côtés d’un rabbin érudit, à la fois immergé dans son époque en tant que guide d’une communauté (le rôle du rabbin, à la fois spirituel et arbitral, est en soi fort complexe), et bizarrement toujours un peu en retrait, éloigné des préoccupations actuelles, plus intéressé par un ouvrage de philosophie classique que par le bruissement du monde. Mais le monde finit forcément par rattraper le bon rabbin Small, que ce soit sous la forme de son épouse, Miriam, qui fait parfois office de conscience, de ses «paroissiens» partagés entre l‘agacement devant ce drôle de petit bonhomme tire-bouchonné, et le respect envers ce qu’il incarne, ou bien sous l’apparence du commissaire Lanigan, intermédiaire sympathique entre le rabbin et le monde du crime. Car on y meurt quand même souvent. Dans ce second tome, le rabbin Small a pourtant fort à faire avec le monde : on le retrouve même aux prises avec le gauchisme des années 70, un gauchisme qui flirte avec le terrorisme.

Les enquêtes du rabbin sont en fait des prétextes, un peu comme les récits du Talmud qui servent principalement à exprimer une manière de voir et de comprendre la vie en société, la manière juive. Certes, il y a des morts, des criminels, des trahisons… mais l’un des nombreux charmes de la série réside justement dans la manière dont le rabbin, réfléchissant comme un talmudiste et non comme un enquêteur, entreprend de déconstruire l’écheveau des possibilités pour percer les secrets les plus enfouis et éclairer un crime. L’art et la manière l’emportent assurèment sur le résultat.

Harry Kemelman a rédigé là une série très pédagogique, en ce qu’elle nous introduit, habilement, ludiquement, dans la pensée et la civilisation juives. A cet égard, Mardi, le rabbin a vu rouge est peut être l’ouvrage le plus explicite : le rabbin Small, occasionnellement professeur à l’université locale, se heurte aux questions tendancieuses de la jeunesse et à travers elle, aux interrogations parfois banales du lecteur non juif (à quoi sert la kippa ? quel est le statut des femmes ?…), et il en profite pour délivrer un cours, à batons rompus, sur le judaïsme en expliquant notamment que pour intéresser les enfants à l’étude, on en renforce les aspects ludiques.

Sans nul doute, Harry Kemelman aurait fait un bon rabbin, tant il sait nous passionner en remettant au goût du jour, et en l’appliquant au crime, une pensée millénaire. Une collection indispensable aux amateurs.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 23/10/2006 )
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