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Littératureet   

Chroniques des quais
de David Wojnarowicz
Désordres / Laurence Viallet 2005 /  18.90 €- 123.8  ffr. / 208 pages
ISBN : 226805537X

Voyages au bout de la nuit

« Type dans un hôtel sur les quais, San Francisco » ; « Fugueuse de quatorze ans, Woodstock » ; « Homme vautré sur un canapé par une température de 32 °C, Brooklyn »… quarante-cinq jeunes prostitués, drogués, vagabonds, travestis, tous sans le sou et la plupart, pour les hommes, homosexuels occasionnels ou convaincus, racontent une bribe de leur vie. Il s’agit le plus souvent d’une galère qu’ils ont connue, parfois aussi d’une rencontre de hasard qui s’est avérée un moment de grâce. Chroniques des quais s’apparente ainsi à l’enquête d’un reporter qui aurait voulu radiographier la population des laissés-pour-compte aux Etats-Unis, même si ces récits sont certainement fictionnels. Dans la plupart, écrits à la fin des années 70 et au début des années 80, le narrateur a le langage des rues, sonne juste et vrai, même si l’on note en réalité une homogénéité de style entre les différents « témoignages », comme si ces textes émanaient d’une même voix, comme si tous ces hommes et ces femmes, abandonnés à eux-mêmes, avaient une très forte communauté d’âme.

On peut poser l’hypothèse que cette homogénéité renvoie à la posture engagée de David Wojnarowicz, dont l’art (il fut également performer et photographe) a toujours milité pour la cause de cette « Amérique d’en bas » dont il fit lui-même partie – puis plus tard contre le Sida, dont il mourut à l’âge de 37 ans, en 1992. Elevé par un père alcoolique à la main leste, après un divorce parental mouvementé, David Wojnarowicz se prostitua dès 9 ans et passa la plupart de son temps dans la rue. A 12 ans, il fuguait régulièrement, passant d’amant en client. Puis, inspiré par le mouvement beatnik, il traversa les Etats-Unis. En ce sens, Chroniques des quais a une dimension autobiographique.

On peut rattacher le livre de David Wojnarowicz à une certaine littérature américaine qui depuis quelques décennies fait parler les moins nantis : Burroughs, qui d’ailleurs soutint la littérature de Wojnarowicz, Salinger, Selby, plus récemment Matthew McIntosh… Mais Chroniques des quais est d’une facture plus modeste. La structure s’avère très rudimentaire (on peut d’ailleurs imaginer qu’elle ait inspiré le Well de McIntosh) : des « témoignages » très courts – la plupart autour de deux à six pages – se succèdent. La prégnance du thème homosexuel crée en outre une certaine monotonie, malgré la diversité des histoires. Chroniques des quais n’a pas l’envergure (mais sans doute pas non plus la même ambition d’intensité dans la violence et le désespoir) de Last Exit to Brooklyn ou du Festin nu. On y saluera néanmoins le traitement du thème homosexuel qui tient une place centrale. Les personnages masculins de Wojnarowicz draguent des hommes dans Central Park ou font de l’autostop à la recherche d’une aventure, se prostituent… L’auteur décrit les intimités qui se créent très facilement, l’amour ou le danger qui adviennent soudainement. Un livre intéressant à ce titre.

A noter
À l'occasion de la parution de Chroniques des quais et d’Au bord du gouffre, également de David Wojnarowicz (Editions 10/18), les Editions Désordres et les Ateliers de la pleine lune présentent des projections vidéo autour de David Wojnarowicz au Palais de Tokyo (13, avenue du Président Wilson, 75116 Paris - tel : 01 47 23 38 86) et une exposition de photographies et de vidéos à la galerie Eof (18 octobre au 6 novembre, 15, rue Saint-Fiacre, 75002 Paris).

Elise Goldberg
( Mis en ligne le 25/08/2005 )
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