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Littératureet Rentrée Littéraire 2021  

Notre vie dans les forêts
de Marie Darrieussecq
Gallimard - Folio 2019 /  6,20 €- 40.61  ffr. / 160 pages
ISBN : 978-2-07-282907-9
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en août 2017 (POL)

Un monde parallèle

Viviane-Marie nous raconte une histoire angoissante. On a l’impression qu’elle va mourir sous peu, elle n’a plus qu’un œil, un rein, un poumon. Elle vit dans une forêt dense avec ses amis ; elle est dans l’urgence, parle en association libre et se rappelle que dans une autre vie, elle était psychologue.

Avant quoi ? On se doute qu’un événement majeur est survenu, transformant les hommes en bêtes, dans un campement de tentes et de bâches. Le couvert des arbres les protège des drones qui sont à leur recherche. Car ils se sont enfuis ; ils ont une connexion pirate et quelques robots bricolés. Ils essaient d’échapper à une société coercitive, ils sont partis pour se déconnecter et la narratrice veut laisser un témoignage sur ces résistants. Les membres de cette société sont pucés et suivis à la trace. Se pose ainsi la question de l’individu face à sa société : vaut-il mieux la liberté individuelle ou la sécurité de tous ?

Tout au long du roman, de nombreux termes obscurs déroutent le lecteur ; le décor se met peu à peu en place, contrairement aux romans de science-fiction où il est planté dès le début de l’intrigue. Ce choix contribue au suspense et stimule l'imagination car il n’y a aucune indication spatio-temporelle. La société évoquée est glaçante. Le virtuel semble supplanter le réel. Cette évolution semble mise sur le compte de la marche naturelle du progrès scientifique : quel sort nous réserve la science ?

L’auteure expose une vision pessimiste de l’avenir, liée à une désintégration des corps et à une perte de l'identité. Les humains disposeraient de clones, des «moitiés» servant d'«assurances-vie», réserves de pièces détachées, des «non-personnes» sur lesquelles prélever des organes. Le roman commence par une phrase choc : «J’ai ouvert l’œil et boum tout m’est apparu. C’était limpide. Nous étions presque tous accompagnés par nos moitiés (…). Il faut que j’essaie de comprendre en mettant les choses bout à bout».

L’enjeu pour l’homme est d’augmenter sa longévité ; comment faire la différence entre un être et un non-être ? Le clonage peut-il se justifier par des raisons thérapeutiques ? Le rapport entre le corps et l’esprit ainsi que plusieurs questions d’éthique sont posés dans le récit. Notre vie dans les forêts est une dystopie remarquable par son équilibre entre tragique et ironie. Dans le sillage de 1984 ou Farenheit 451, cette fiction bouillonnante mêle trafic d’organes, obsession de l’éternelle jeunesse et totalitarisme.

La forêt domine le récit par sa puissance, lieu de vie et de mort, refuge inquiétant, monde parallèle qui évoque les migrants de la jungle de Calais ou les combattants vietnamiens éliminés par le napalm. Marie Darrieussecq avoue que l’idée de ce roman lui est venue d’une courte nouvelle qu’elle avait écrite il y a vingt-et-un ans et qu’elle a aimé développer... pour le plus grand plaisir du lecteur.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 07/06/2019 )
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