L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Le Chat de Schrödinger
de Philippe Forest
Gallimard - Folio 2014 /  7.40 €- 48.47  ffr. / 368 pages
ISBN : 978-2-07-045968-1
FORMAT : 11,0 cm × 17,5 cm

Première publication en janvier 2013 (Gallimard - Blanche)

Métaphysique des moutaches

...''l'histoire d'un homme sans histoire, se faisant le chroniqueur des événements insignifiants survenus dans son existence à partir du plus minuscule de ceux-ci, l'arrivée dans son jardin d'un chat errant, et devenant la proie d'un délire assez extravagant en s'imaginant pouvoir reconstruire à partir de là une démonstration assez vaste pour englober le système de sa vie et celui de l'univers indifférent tournoyant avec ses phénomènes autour de lui".

Philippe Forest résume ainsi brillamment son dernier roman, récit personnel mêlé en effet de considérations sérieuses, documentées, décortiquées, sur l'existence, l'infinité absolue de l'univers et la nécessaire existence en son sein de mondes parallèles. D'où le chat qui est à la fois prétexte - le surgissement d'un chat, un soir, dans le jardin d'une villa balnéaire où notre narrateur se trouve, pense, laisse filer le temps dans la douleur sourde de la perte de son enfant qui aujourd'hui serait une jeune femme - et objet d'une démonstration proposée en 1935 par le physicien Erwin Schrödinger ; pour résumer, maladroitement : le fait qu'un chat enfermé dans une boite et soumis à un système létal élaboré puisse au même instant être considéré comme mort et vivant. Nous sommes au coeur des débats qui animèrent les papes de la physique quantique (Schrödinger donc, mais aussi Planck, Einstein et Everett), prétextes eux-mêmes à une vertigineuse, touchante et convaincante journée littéraire.

Nul besoin d'un Bac C, d'un Bac S, d'avoir fait Math'Sup, Spé, flirté avec l'ingénierie ou la métaphysique (car finalement, à de tels degrés scientifiques, la science redevient philosophie), pour savourer les saines élucubrations du narrateur ; avec habilité, Philippe Forest alterne les chapitres qui tentent humblement d'exposer ces problèmes de science, et ceux rendant compte d'un encore plus modeste quotidien : un pavillon, un chat anonyme, la fraîcheur de soirées de fin d'été, un verre de whisky, deux, trop peut-être... Le style sert de trait d'union, un style identifiable pour qui a lu et apprécié les précédents romans de l'auteur : un phrasé ample, un art dans la redondance, la répétition (le ronronnement devrait-on dire ici), qui sont tout sauf lourdeur et artifice, un raffinement syntaxique qui n'empêche pas que la lecture coule et le propos reste clair.

Et la fille morte, omniprésente quoiqu'absente, physiquement et quasiment dans les mots de l'auteur (présence/absence encore), raison d'être de ces pensées éparses qui, on l'aura compris, cherchent à justifier dans une infinité d'ailleurs l'existence de celle qui, ici et maintenant, n'est plus. Magistral : en quelques trois-cents pages, Philippe Forest flatte avec talent le coeur, le cerveau et, quelque part entre les larmes d'un père à sa fille, les pas feutrés d'un chat et les équations complexes de génies fous et poètes, l'âme.

Et dans l'infinité de l'univers, aussi vrai que chacun de nous existe une infinité de fois, à une infinité d'époques, dans une infinité de parcours sensiblement différents, existe aussi l'infinie totalité des textes, la possibilité complète - si l'on peut dire - de toute création littéraire, tout romans, essais, écrits, poèmes. On est alors heureux que ce soit dans cette dimension nôtre qu'un Philippe Forest, accidentellement écrivain, ait nécessairement écrit Le Chat de Schrödinger...

Thomas Roman
( Mis en ligne le 05/11/2014 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)