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Pocheset Littérature  

Chronique d'hiver
de Paul Auster
Actes Sud - Babel 2014 /  7,70 €- 50.44  ffr. / 256 pages
ISBN : 978-2-330-03439-9
FORMAT : 10,8 cm × 17,6 cm

Première publication française en mars 2013 (Actes Sud)

Pierre Furlan (Traducteur)


''La vie ordinaire''

Le tropisme anthropique sur l'entropie : jouant des mots et de leurs sonorités, on pourrait synthétiser ainsi l'approche de ce dernier (mais non ultime, espérons-le !) opus austérien. Cette humaine tendance à penser la déchéance, cette loi entropique dont la physique explique qu'elle s'intéresse aux systèmes organisés qui deviendraient, avec le temps, de moins en moins stables et structurés. Bref, le vieillissement, humaine entropie quelque part, et les questions, les obsessions, les besoins de mettre en mots et en formes qu'elle suscite chez tous, écrivains, nous, vous... et toi.

Une loi universelle que Paul Auster, homme entré dans ce dernier pan de la vie que l'on n'appelle plus le troisième âge (comment un baby-boomer pourrait-il être... vieux ?!), expose ici en recourant en effet au tutoiement. Un procédé habile par lequel l'auteur, tout en se parlant à lui-même, se mettant à distance pour mieux se dire et se comprendre, non seulement esquive l'enfermement dans l'autofiction, mais crée du sens pour celui qui le lit dans une sorte d'intime connivence. Je me parle de moi, je te parle de toi, je nous parle de nous...

Car au-delà des détails d'une vie singulière, souvenirs bien à soi, livrés humblement mais sans pudeur, c'est de ''la vie ordinaire'' qu'Auster parle sublimement. La vie côté corps, notre plus tangible dénominateur commun, celles des plaisirs et des peines, des émois et des peurs, des douleurs et des frémissements. Chronique d'hiver n'est donc pas, par cet entremêlement narratif du ''je'' et du ''vous'', une autobiographie ; pas autobiographique non plus par sa construction, qui n'est pas chronologique mais plutôt kaléidoscope littéraire, tricot de souvenirs au gré des sensations et de procédés taxinomiques. Ainsi par exemple quand Auster écrit non plus côté corps mais... côté rue, énumérant les adresses où, de l'enfance à Brooklyn, il a vécu... et ressenti.

On préfère à ce chapelet géographique celui des états physiques : les crises, la perte de moyens, le constat d'un corps qui, quand il ne lâche pas certains jours, rappelle souvent qu'il décline. "C'est l'histoire même de ta vie. Chaque fois que tu parviens à une croisée des chemins, ton corps s'effondre, car ton corps a toujours su ce que ton esprit ignorait (...), c'est toujours ton corps qui a repris à son compte le fardeau de tes peurs et de tes batailles internes".

Un roman qui, au final, parle donc moins de Paul Auster que de nous-mêmes, instaurant un dialogue entre "l'homme silencieux coupé du reste du monde et qui reste assis à son bureau jour après jour sans autre but que celui d'explorer l'intérieur de sa propre tête" et cet autre solitaire, qui, d'une couette au transbahutement d'un transport en commun, de l'assise confortable d'un fauteuil complice aux caresses du sable, de l'herbe, d'un matelas où il s'allonge sans dormir : le lecteur ; vous, nous... toi.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 22/09/2014 )
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