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Pocheset Littérature  

Les Enfants de l'empereur
de Claire Messud
Gallimard - Folio 2018 /  10,50 €- 68.78  ffr. / 714 pages
ISBN : 978-2-07-277878-0
FORMAT : 12,0 cm × 17,8 cm

Première publication en mars 2008 (Gallimard - Du Monde Entier).

Traduction de France Camus-Pichon.


Bûcher des vanités et kérosène

Chroniques sociales à J moins quelques mois avant cet évènement qu'on retient par trois chiffres : 9-1-1... Pour suggérer le sacrifice de New-York, Claire Messud observe et égratigne une famille au coeur de son intelligentsia, les Thwaite : «... l'aura et la sophistication des Thwaite, (...) cette chaleur mêlée d'une touche insaisissable, et néanmoins flagrante, de condescendance...». Le paterfamilias, empereur éponyme, est Murray, intellectuel coutumier des colonnes à lire et des plateaux à regarder, journaliste toujours consulté, apprécié pour ses positions à la fois radicales et généreuses, depuis le Vietnam. Bref, un mandarin comme en comptent toutes les mégapoles, souverain d'un microcosme, avec sa cour et ses révolutions fomentées : «Et Murray, dont la grandeur ne tenait pas à ses paroles ni à ses actes, mais seulement à sa capacité à convaincre les gens de cette grandeur, à commencer, naturellement, par lui-même, Murray, l'empereur de ce royaume des faux-semblants...»

À ses côtés, sa fille, Marina, exemplaire fille à papa ayant connu trop tôt son heure de gloire par quelques papiers dans Vogue et le New-Yorker. Depuis, à trente ans, elle traîne son ennui en vivant chez ses parents, cet appartement cossu louchant sur Central Park, faisant office d'assistante de son père et pataugeant dans la rédaction d'un essai sur les jeunes et la mode... Sa meilleure amie, Danny (Danielle), a plus les pieds sur terre et vit comme journaliste pour une chaîne de télé locale. De retour d'un reportage en Australie, elle ramène dans son avion un intellectuel vorace, Ludovic Selley, bien décidé à conquérir Manhattan avec son journal au ton satirique, le Monitor, et à détrôner aussi l'empereur Murray... D'ailleurs, son mariage avec Marina n'a-t-il rien à voir avec ce plan de guerre ?...

Enfin, deux jeunes hommes : Julius, homo de service, lui aussi pigiste plus ou moins raté, entretien une relation chaotique avec David, requin financier... jusqu'au licenciement. Et Frederik, dit Bootie, neveu des Thwaite, venu à Manhattan pour fuir l'ennui de sa province. Bedonnant et maladroit, il a du haut de ses 18 ans l'intelligence qu'il faut pour faire son trou dans le landernau new-yorkais. Admiratif de son oncle Murray, il sera aussi le premier à vouloir déboulonner sa statue triomphale...

Le tout à l'ombre de tours jumelles qu'on aurait crues, elles aussi, infrangibles, et toute l'hybris d'une cité où le luxe côtoie l'argent, la culture et la production des savoirs. On connaît la suite, que Claire Messud expédie en fin d'ouvrage, une cinquantaine de pages redistribuant les cartes. Paradoxalement, c'est la partie la moins passionnante du roman, celle aussi la moins vérace, sans que cela n'ait à voir seulement avec l'essentielle impossibilité de la chose. Alors que les attentats du 11 septembre créent la tension parcourant tout le roman, ce n'est pas eux que l'on attend, mais plutôt ces personnages que l'on observe, avant. Là, Claire Messud prend son temps. Au fil de chapitres plutôt courts, elle passe de l'un à l'autre, habile dans l'entrecroisement des histoires et la peinture de psychologies plus complexes qu'elles ne paraissent.

Des pages qui renouent avec les grandes fresques psychologiques et sociales, montrant l'essentielle fragilité des êtres les plus vaniteux. Un morceau de bravoure.

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 07/05/2018 )
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