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Vies parallèles - 6 histoires fantastiques
de Olivier Schrauwen
Actes Sud - l'An 2 2018 /  24 €- 157.2  ffr. / 120 pages
ISBN : 978-2-330-09249-8
FORMAT : 23x32 cm

Extension du domaine des possibles

Olivier Schrauwen s'affirme d'album en album comme un des bédéastes les plus intéressants de la décennie, audacieux et productif. Son nouveau livre propose six histoires de science-fiction autonomes qui dégagent pourtant une unité évidente. À chaque fois, un ou plusieurs personnages qui lui ressemblent vivent des expériences curieuses à la frontière de plusieurs temporalités.
Le dessinateur joue ainsi avec les limites de l'autofiction : il se représente en femme, en cartoon, en amnésique du futur... autant de variations sur un thème imposé, une série de figures qui, de son père Armand Schrauwen à Oh-Lee Schrauwen, dessinent en creux un portrait de l'artiste. Dans chaque récit, les personnages luttent avec une communication difficile ou surabondante. Ils tentent de survivre dans une société dont les codes nous sont étrangers, doubles fictionnels à la recherche d'un contact mystique avec l'immortalité. La descendance assurée par les extra-terrestres, la cryogénisation, le transhumanisme semblent autant de solutions pour se débarrasser de notre pauvre enveloppe, tandis que les thèmes classiques de l'intelligence artificielle, de la conscience collective, des transgenres ou de la surpopulation trouvent leur traitement.
L'appellation « histoires fantastiques » en sous-titre surprend, tant il s'agit là d'imaginer un futur parfois effrayant, mais concevable. Et on en vient à se demander si le dessinateur est réactionnaire ou fasciné par la modernité. Lui qui s'était d'abord fait connaître par des pastiches de bandes du début du siècle, il opte cette fois-ci pour des couleurs numériques et une démarche visionnaire autant que faire se peut.
Autre surprise : au contraire d'Arsène Schrauwen, remarqué en 2015, et qui nous amenait à faire corps avec le personnage central dans ses errances psychologiques, la longueur de ces récits ne nous permet pas de sortir d'une impression d'étrangeté. Le fantastique est réellement là, dans cette expérience permanente de sortie de soi, de confrontation à une modernité décalée.

Il est parfois délicat de définir où Schrauwen est sérieux et où il ne l'est pas, comme dans ce premier récit où il raconte sa pseudo-rencontre avec des « petit gris ». Le texte évoque alors les fascicules des scientologues, et c'est la modernité du trait et les petites perles de second degré qui trahissent la distance avec un art naïf. Plus loin, Schrauwen s'amuse à des jeux inédits avec le médium : application cartoon, troll récitatif ; l'avenir proposé comme une fusion entre vie et bande dessinée.
Le dernier récit, Anciens & nouveaux mondes, est aussi le plus long. Il s'efforce de rendre cohérentes certaines des histoires qui le précèdent et nous livre un bilan de ce voyage en science-fiction : Olivier Schrauwen, après des décennies de cryogénisation et de vie connectée, y renoue avec une humanité dénuée de toute technologie. Comme Moebius dans Sur l'étoile, il y a trente-cinq ans, le dessinateur dépeint le retour de la nature et l'échec de la modernité. Le sexe apparaît alors comme le révélateur de notre animalité, le déclencheur de notre rapport au réel.
Dans ce tâtonnement, on perçoit un peu des mystères des possibles. Sans cesser pour autant de baigner dans le malaise et le saugrenu.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 08/02/2018 )
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