L'actualité du livre
Bande dessinéeet Manga  

Indigo blue
de Ebine Yamaji
Asuka 2004 /  9,00 €- 58.95  ffr. / 192 pages
ISBN : 2849650420
FORMAT : 12x18 cm

Words are unnecessary

Rutsu a tout pour être heureuse : jeune femme pleine de charme, en passe de devenir un écrivain culte grâce à son dernier recueil de nouvelles et filant le parfait amour avec son éditeur Ryûji, rien ne semble lui manquer. Son chemin croise un jour celui de Tamaki, rédactrice en chef d’une revue d’art qui a lu toutes ses œuvres et l’interroge sur l’un de ses personnages, un mystérieux « Y », au genre indéterminé. Cet être de papier hante visiblement l’admiratrice, qui pose d’étranges questions à son sujet. Troublée, Rutsu cherche à revoir l’inconnue sortie de nulle part. Débute alors un insolite «Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis» entre les deux femmes.

Ebine se livre une nouvelle fois à un difficile exercice de style, dans lequel elle cherche à retranscrire avec une justesse rare les sentiments les plus intimes qui habitent ses protagonistes. Sur fond de dialogues ciselés comme des joyaux dont les illustrations au trait racé seraient l’écrin de soie, l’auteur brosse ainsi le portrait d’êtres confrontés à de nombreux doutes et errements existentiels, mus par une quête permanente de l’Autre qui se révèle souvent être le miroir déformant de leurs propres angoisses. Jouant habilement d’un ton mélodramatique, le manga est constamment sur la brèche sans jamais céder à un sentimentalisme mièvre. On déplorera seulement l’affrontement parfois un peu binaire de deux mondes qui seraient condamnés à se côtoyer sans jamais se croiser ni se comprendre : les hétérosexuels d’une part, dont le principal but dans la vie serait de fonder une famille, et les «autres» d’autre part, isolés, aspirant à des projets bien plus nobles. Tout ceci se révèle un peu réducteur, et Ebine tombe dans cette facilité qui est de considérer que l’hypersensibilité est l’apanage de l’homosexualité (sinon sa cause…), afin de servir un propos troublant en s’interrogeant sur l’essence même de l’homme : l’éducation, l’environnement socioculturel suffisent-ils à nous déterminer sexuellement ou nos attirances et nos goûts prennent-ils racine dans un substratum génétique prédéfini ?

Cette douloureuse question déchire à chaque instant Rutsu, rongée par des aspirations contraires et incapables de choisir entre la belle Tamaki et le ténébreux Ryûji. Jouant sur les deux tableaux, la jeune femme se fait rapidement prendre au piège du mensonge et de la lâcheté, s’égare dans les méandres de son cœur et de sa conscience, pour finir par rompre à contrecœur cette indécision maladive sans être vraiment convaincue de son choix définitif. Sombre et désespéré, on se demande dans quelle mesure cet étrange jeu de miroir ne fait pas de cette héroïne torturée l’incarnation virtuelle d’Ebine, à la résignation doucement fataliste : «Si on avait pu se rencontrer plus tôt, je n’aurais pas fait les mêmes choix». Le chemin le plus court n’est pas toujours celui du bonheur…

Océane Brunet
( Mis en ligne le 29/12/2004 )
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