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Bande dessinéeet Manga  

Fantôme
de Jung-Hyun Suk
Casterman - Hanguk 2007 /  14,75 €- 96.61  ffr. / 180 pages
ISBN : 978-2-203-37706-6
FORMAT : 17x24 cm

L’industrie de la guerre, le commerce de la catastrophe

2020. Alors que le monde ne compte plus qu’une seule nation suite à une catastrophe naturelle, la paix qui semblait inébranlable est mise à mal par un attentat à la bombe. La milice privée Seki, arrivée la première sur les lieux, accorde l’exclusivité de son intervention à la chaîne de télévision YBC. Les journalistes vont ainsi retransmettre en temps réel et en direct l’enquête menée par les soldats. Mais une manipulation de grande envergure va peu à peu être dévoilée, destinée à des fins peu glorieuses…

Interrogation provocatrice sur le pouvoir des médias, manipulateurs et mensongers, mais aussi questionnements d’une actualité brûlante sur la violence et la sécurité, le manga dénonce des dérives effrayantes car probablement déjà en cours : manipulation des masses, désinformation, privatisation de la sécurité, complicité éhontée entre les médias, le gouvernement et l’armée laissent se profiler un monde fascisant qui cultive la peur et l’assujettissement du peuple. Car la SF est un art difficile qui consiste à laisser croire que ce qu’on lit appartient à un futur plus ou moins probable alors que ce n’est qu’un miroir déformant de notre propre réalité. Avec une question clef : à qui profite le crime ? Ceux qui se font inlassablement l’écho des pires abominations ne sont-ils pas tout aussi coupables, charognards peu scrupuleux se gargarisant du malheur et de l’ignominie humaine ?
L’inquiétude monte encore d’un cran lorsque l’auteur élabore un scénario diabolique dans lequel Internet et la petite lucarne envoient des messages subliminaux susceptibles de modifier la personnalité des spectateurs les plus fragiles. Mais qui n’est pas devenu un parfait crétin devant le jeu des boîtes d’Arthur ? Et qui n’a pas fondu en larmes lors du poignant hommage à Grégory Lemarchal en Une du JT de TF1 -qui vendait une ultime fois l’un de ses regrettés produits-, pourtant déjà à moitié englouti dans notre subconscient crasseux de dégénérés post-modernes ? Résultats des courses : une explosion des ventes. Le pathos fait vendre, et Fantôme nous renvoie sans ambages à notre propre aliénation, entretenue quotidiennement par des chasseurs d’espace libre de cerveau. Et Suk Jung-Hyun de nous rappeler la fièvre de la Coupe du Monde de Football comme exemple marquant : « Aurait-il été possible, sans les médias, de mobiliser autant de monde pour un seul type de sport ? Même six mois avant le début […], la télévision nous bombardait de publicités et d’émissions sur le foot. La diffusion répétitive des images et informations sur le football a transformé les personnes qui étaient indifférentes à ce sport en grands fans. Ça me donne la chair de poule quand je pense que la force des médias a fait sortir des millions de personnes habillées en rouge dans les rues de la Corée du Sud et a fait croire aux Coréens que l’arrivée de l’équipe coréenne en huitième de finale était une cause nationale ». Un commentaire édifiant…
Saluons enfin la très grande qualité graphique de l’œuvre, usant d’un grain photographique qui entérine le souci de cohérence et d’hyper-réalisme de Suk Jung-Hyun. Le tout soutenu par un rythme haletant digne d’un blockbuster hollywoodien.

Océane Brunet
( Mis en ligne le 28/05/2007 )
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