Bande dessinée
Fantastique de Jeff Lemire
Futuropolis 2013 / 26 €- 170.3 ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-7548-0935-1
FORMAT : 19,5x26,5 cm
La mémoire de l’eau
Après le très beau Essex County, sorti il y a trois ans, Futuropolis décide – et c’est tant mieux – de continuer à suivre le travail de Jeff Lemire en publiant ce nouveau livre, aussi réussi que le précédent, et même plus. Dans sa préface, Damon Lindelof évoque avec raison La Quatrième Dimension. On est en effet ici face à une sorte d’épisode inédit, et en bande dessinée, de la fameuse série de Rod Serling, à la seule différence que Lemire prend son temps et laisse à son personnage tout le loisir de se développer. Et au final c’est l’émotion qui est au rendez-vous. Car ce livre est en effet très prenant, poignant. Ils sont finalement rares les albums – surtout lorsqu’ils sont si denses – qui vous captivent tant et ne se laissent pas déposer tant que la dernière page n’a pas été tournée. L’air de rien, avec son dessin qui peut parfois paraître rustre et mal fichu, Lemire écrit un récit fleuve d’une grande intensité, à la fois mystérieux, universel et poétique.
L’histoire se passe au Canada, sur les côtes de la Nouvelle Écosse. Dans cette petite ville endormie et balayée par les vents et la pluie, Jack Joseph exerce la profession de soudeur sous-marin. Quand il est là, sous l’eau, plus rien n’a d’importance, même pas sa copine enceinte. Les profondeurs sont son seul refuge, son ventre à lui. Jack ne semble pas prêt, pas les pieds sur terre mais bel et bien ailleurs, perdu. Quelque chose de son enfance, un père disparu, l’a marqué et lorsqu’il voit (ou pense voir) la montre à gousset de sa jeunesse lors de l’une de ses plongées, c’est le début d’un grand drame fantastique qui va tout remettre en question.
La suite de ce récit part un peu dans tous les sens, ne laissant aucun répit à Jack et son périple à travers le temps, ses souvenirs et ses fantômes. Lemire propose à chaque fois au lecteur le droit de s’interroger sur ce qui se passe réellement sous ses yeux. Entre folie et surnaturel, le doute est permis, mais le plus important est qu’au bout du compte, une révélation aura lieu.
Avec talent, Lemire réussit à manier le fantastique pur et inquiétant (avec quelques moments d’anthologie comme cette route qui tourne en boucle où cette ville vidée de ses habitants), à une trame beaucoup plus intime où des grands thèmes sont traités (le deuil, la paternité, le couple...). Une réussite incontestable.
Alexis Laballery
( Mis en ligne le 25/06/2013 )
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