L'actualité du livre
Bande dessinéeet Fantastique  

Mongo est un troll
de Philippe Squarzoni
Delcourt - Mirages 2014 /  15.95 €- 104.47  ffr. / 96 pages
ISBN : 978-2-7560-3770-7
FORMAT : 19,8x26,3 cm

La fantasy normale

Dans un royaume fantastique classique, peuplé de trolls, de lutins, d’elfes, de gnomes et même d’humains, deux vieillards, Duane et Cameron, survivent de petites arnaques et de bonnes occasions, traversant des contrées perdues en quête de la mère de Cameron ou d’une inspiration poétique fragile. Une odyssée improbable, jusqu’à ce qu’ils croisent la route de la belle Claire Woodward, magicienne… un peu erratique, notamment dans ses affections. Elle aime les hommes, les trolls, les lutins, les chats… et les problèmes. Nos trois compères vont donc sillonner ce monde, d’un tripot l’autre, de rixes en fuites éperdues, en croisant parfois de vilains gobelins myopes (mais costauds) et autres araignées géantes, mais aussi de braves gens. La normalité, version fantasy ?

Philippe Squarzoni est un auteur inclassable, aussi à l’aise dans le reportage engagé (Garduno/Zapata, Saison brune), l’essai politique dessiné (Dol) que dans la fiction. Avec ce récit fantastique, on est loin, très loin des canons du genre : pas de muscles et d’acier, pas d’épée maléfique ou d’anneau douteux, pas de grands pouvoirs ou de sorcellerie compliquée… un fantastique quotidien, normal, avec ses peuples étranges, ses carcasses de dragon, ses monstres disparus ou menaçants. La vraie vie : la mauvaise saison, les mauvaises rencontres, les bagarres qui tournent mal et l’âge qui, insensiblement, pèse sur tout le monde. Et puis de l’humanité : des sentiments, des doutes, des problèmes simples de survie, des moments de joie et des moments de peine. Le ton est donné, les références graphiques sont à chercher du côté de Bone, de Château l’Attente : de la fantasy sans « heroic », avec juste ce qu’il faut d’humour décalé, de dialogue sentencieux ou audiardesques pour captiver le lecteur et le laisser un peu sonné en fin de volume. Mais il ne s’agit pas d’un hommage réussi au seul Jeff Smith : Jérôme Bosch, Brueghel figurent également parmi les références et, dans les paysages glacés et neigeux comme dans la dégaine toute infernale de certaines créatures parsemant l’album, on retrouve assez facilement l’esprit de deux maîtres de la peinture flamande.

L’album est donc singulier, il tranche élégamment avec la production fantasy et, par sa profondeur comme par sa quête graphique, il séduira aisément les amateurs du genre, qui cherchent une vraie originalité et un souffle neuf. Surtout, il fait la démonstration que, loin des stéréotypes, la fantasy est un vrai genre, à condition d’y insuffler un peu d’humanité, un talent et un esprit que Philippe Squarzoni domine. Une vraie surprise de rentrée et un grand coup de cœur.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 23/09/2014 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)