L'actualité du livre
Bande dessinéeet Science-fiction  

Cyclopes (tome 2) - Le Héros
de Matz et Luc Jacamon
Casterman - Ligne rouge 2006 /  9.80 €- 64.19  ffr. / 56 pages
ISBN : 2-203-39260-6
FORMAT : 22,5x30 cm

Guerres médiatiques

Le milieu du XXIe siècle : la civilisation se lézarde en de multiples guerres, comme celle qui oppose le Chili et l’Argentine. Et la guerre, ce n’est pas seulement la politique par d’autres moyens, c’est aussi un spectacle, de l’entertainment, de la réalité vraie, mieux qu’au cinéma. Alors pourquoi ne pas la confier aux professionnels du spectacle ? Tout le monde sera content : le public qui veut de l’info, des images chocs et des héros, les militaires qui veulent des subventions, les Etats qui désirent vaincre, et les médias, qui vont donner à tout ce monde sa ration de violence. Douglas Pistoia s’est engagé dans la Multicorps Security, une armée privée en contrat avec un grand média, et au hasard d’une opération en Turquie, le voilà devenu un héros, une vedette. Et une nouvelle mission en Amérique latine confirme la sentence du public : ayant sauvé d’une mort terrible une femme et son enfant - sans trucage ni scénario - Pistoia devient la star adulée des prime time… au risque de devenir fou. Mais que faire quand on est pris dans la spirale du succès, courtisé par de belles jeunes femmes, dans un splendide appartement florentin ? Peut-être essayer de comprendre ce qui se passe, penser à l’avenir, et découvrir qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la guerre médiatique (l’offre et la demande, dans ce secteur, ça pose aussi des problèmes éthiques !). Cela commence par la découverte d’un charnier dans un village étrange, et bientôt une sensation de déjà vu. Pistoia deviendrait-il fou ?

Jacamon et Matz, c’était le duo surdoué à l’origine d’une des séries les plus bluffantes de la bande dessinée, un thriller exceptionnel à la réalisation soignée : Le tueur. Alors forcément, lorsqu’ils annoncent une nouvelle histoire, de SF qui plus est, il y a de quoi saliver. Et le pari semble réussi : on retrouve au pinceau le Jacamon du Tueur, son attention portée aux visages, aux décors, son goût pour une mise en scène spectaculaire, très cinématographique, son art des couleurs au service d’ambiances particulières, genre polar au soleil. Le héros, Douglas Pistoia, a des faux airs du tueur, mais en moins cynique, en plus gentil… un téléspectateur lambda propulsé de l’autre côté de l’écran. Quant au scénario de Matz, il se révèle peu à peu dans toute sa richesse : avec ce deuxième tome, le profil du héros est désormais tracé, et le lecteur, comme Pistoia, soupçonne bien qu’il y a quelque chose de louche. Par petites touches, Matz installe le doute, le malaise face à une époque terrible où les couleurs chatoyantes des plateaux télés alternent avec la boue, le sang et la peur. War is money. On pressent des questions d’intérêt supérieur, des rivalités entre chaînes (quel génocide fera le plus d’audience ?), de la manipulation, un drame… Et puis les personnages secondaires, l’escouade de la Multicorps security, l’entourage télé, le privé curieux et désabusé : tout est travaillé au cordeau, notamment les dialogues, percutants et assez réalistes. Efficace comme une bonne série. La suite au prochain épisode, forcément !

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 05/12/2006 )
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