L'actualité du livre
Bande dessinéeet Science-fiction  

Septième ange
de Stéphane Miquel , Nicolas Tackian et Kenjo Aoki
Soleil Productions - Fusions 2007 /  13.90 €- 91.05  ffr. / 48 pages
ISBN : 978-2849467725
FORMAT : 24x32 cm

L’ange perdu

La terre, en 2102 : un peu déglinguée par les hommes (qui ont même réussi à casser la lune) et conquise par des villes démesurées… Gabriel vit à L.I., une mégalopole de 40 millions d’habitants, encadrés et surveillés par des milliers de milices privées, écoutés par un réseau global… Plus d’intimité, guère plus de liberté. On ne travaille pas, on y a une « activité émancipatrice ». La seule détente autorisée est le lèche-vitrine et le shopping au sein d'immenses galeries marchandes à thèmes... riante perspective ! (serait-ce l'avenir de notre société de consommation ?, le lien entre dictature et libéralisme économique ?). Le « meilleur des mondes » mélangé avec Blade Runner, avec un zeste de 1984 : voilà le futur ! Sauf pour Gabriel : Gabriel est une sorte de fantôme, qui se déplace dans cette ville, sans identité, sans trop de souvenirs, mais avec une mission : tuer des personnes désignées par de mystérieux commanditaires et, en guise de salaire, s’abandonner à la dernière drogue à la mode, la « blue » que lui apporte son tuteur, Leden. C’est le quotidien d’un assassin surentraîné dans un avenir désespérant. Jusqu’au jour où tout dérape, où le super assassin décide de ne pas exécuter sa victime, et de risquer ainsi la colère de ses commanditaires, tout cela pour chasser les démons dans sa tête.

Voilà un futur halluciné que ne renierait pas un Philip K. Dick, un futur sans véritable but ni sens, où l’on erre plus qu’autre chose… Et le charme de cet album, c’est bien cette excursion dans ce futur pesant : on y découvre une organisation politique, des modes de pensées et de consommation… qui pourraient bien être les nôtres, un jour, comme une version possible de notre propre futur, une extension du désenchantement. Le guide est un être désabusé, beau comme un ange, mais déchu. Un monstre créé par le système, et qui ne trouve comme porte de sortie que l’oblitération. À cet égard, le scénario concocté par Miquel et Tackian est une réussite, nourri aux classiques de la SF et du cinéma : bien plus que les péripéties de Gabriel, le vrai héros de cette histoire, c’est la ville de L.I et ses millions d’habitants. Un grand album d’anticipation, où l’intrigue même se noie dans le flot des passants, pour revenir s’imposer violemment, à la fin, une fois la solitude revenue. Ultra-moderne solitude ?

Oui, mais… le graphisme, audacieux, est un peu déconcertant. A priori, le mariage du manga et du format européen pourrait être prometteur. Mais en l’occurrence, le résultat, certes intéressant, n’est pas entièrement probant : le flou artistique constant est lassant à la longue. Si Aoki s’avère très à l’aise dans les paysages urbains démesurés et angoissants, sensible aux atmosphères futuristes de la mégalopole, aux ambiances de ce futur morne (c’est du reste le cœur de l’ouvrage), il est par contre beaucoup moins inspiré en ce qui concerne les individus, les visages, les personnages, impersonnels, lisses… C’est peut être un choix, mais résultat, on ne s’investit pas vraiment en Gabriel, qui reste une belle icône froide, sans vie. De même pour le travail des couleurs, où le très bon (les contrastes entre l’ombre et les néons, ou encore ces images crépusculaires tirées du passé de Gabriel) côtoie le très obscur (notamment un duel final). Un bel album malgré tout, un one-shot qui plaira aux amateurs de bandes dessinées d’anticipation et de futur glauque, mais un essai graphique qui reste à transformer.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 23/04/2007 )
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