L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Heartless
de Nina Bunjevac
Ici Même 2013 /  17 €- 111.35  ffr. / 112 pages
ISBN : 9782369120018
FORMAT : 25x18 cm

L'affiche noire

Il est difficile de parler de Nina Bunjevac sans retracer son roman familial. Elle-même l'explicite en deux planches synthétiques, à la fin de ce recueil : d'un côté, il y a son père, nationaliste serbe mort mystérieusement pendant son exil au Canada, et de l'autre, sa famille maternelle, communiste et éprise de justice sociale.
Il y a aussi, plus collectivement, le poids des mentalités orthodoxes paranoïaques et intolérantes, face à l'horizon international et à la rencontre de personnalités différentes. Nina Bunjevac se perd entre les Balkans et le Canada, entre le plomb et le cartoon. De ce mariage imprévu nait une série de six curieuses bandes dessinées, rassemblées sous le titre désespéré de Heartless. La couverture évoque les Looney Tunes, mais avec un parfum de film noir avec Rita Hayworth. L'amusement et les larmes ne se séparent jamais.

Les récits mettent en scène un monde désenchanté, où l'individualisme règne. Ses héroïnes ne parviennent à leurs fins que par erreur, et superficiellement. Dans « L’occasion se présente », une jeune immigrée américaine s'installe chez un oncle pas franchement désintéressé. « Pour de vrai » montre un couple mal en point dont les efforts séparés aboutiront à des retrouvailles. À chaque fois, la porte de sortie n'est qu'entrouverte, et l'amour espéré n'est qu'une illusion.
Les histoires les plus réussies tiennent d'une autobiographie tout aussi riche en amertume. « Les larmes amères de Zorka Petrovic » et « Août 1977 » méritent à elles seules le détour. L'histoire la plus longue raconte différents épisodes malheureux du quotidien de Zorka Petrovic, chatte de dessin animé enceinte d'un cowboy rencontré dans un bar – et qui ne la rappellera pas.

Ce portrait d'un monde où rien n'est possible, où tout sera mal qui finira mal, trouve un écho particulier dans des souvenirs de la Yougoslavie de Tito. Les tickets de rationnement, les bombes des nationalistes serbes, les portraits sur le mur, dessinent un passé douloureux qui n'en finit pas de projeter son ombre sur le présent. Les gens vivent exilés, séparés, meurtris.
On regrettera que cet univers personnel ne soit pas systématiquement porté par une narration pleinement consciente de ses moyens. Si « Août 1977 » raconte avec une très grande finesse ce qui pourrait être les dernières heures du père de Nina Bunjevac, d'autres histoires sont moins soignées. Plusieurs lectures sont nécessaires pour décrypter les différents locuteurs de « 1953 ». Ailleurs, les fréquents plans fixes ralentissent le rythme au moment où il pourrait s'emballer.

Mais c'est le dessin qui tient le lecteur en haleine. Caricatural, mais travaillé, sombre, en accord avec les fonds noirs qui supportent les planches. Surtout, Nina Bunjevac pratique la surenchère minutieuse. Chaque trait est rehaussé d'une multitude de points, de hachures, de détails, dignes de Moebius. Ainsi les cases prennent-elles du relief, une forme de chaleur, et même de tendresse, dans le plus noir de la nuit.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 02/06/2013 )
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