Bande dessinée Chroniques - Autobiographie |
Fables paniques de Alexandro Jodorowsky Actes Sud - l'An 2 2017 / 29.80 €- 195.19 ffr. / 304 pages ISBN : 978-2-330-07862-1 FORMAT : 19x26 cm A l'avant zen Les éditions Actes Sud-l'an 2 nous proposent cette rentrée une véritable curiosité. On connaissait Alejandro Jodorowsky scénariste de bande dessinée, on le connaissait cinéaste maudit, on le savait ancien homme de scène, mais cette période comme dessinateur est une vraie découverte. En 1967, au Mexique, mis à l'index à cause d'une de ses pièces, il se décide à livrer une planche par semaine d'une série qu'il intitule Fables Paniques. Dans les six années qui suivent, il compose une œuvre baroque, inattendue, provocante et fourre-tout, qui obtient un réel succès populaire. On reconnaît sans peine la marque des années 1960. Alexandro (comme il le signe) Jodorowsky multiplie les collages, les gravures de catalogue, intègre plus tard des comic strips américains entiers, conserve de toute manière l'esthétique de la rupture de ton en modifiant les formes, les hachures et les couleurs d'une case à l'autre. Le résultat est visuellement ahurissant, jusque dans ses échecs. Son personnage le plus autobiographique est assez maîtrisé et lui permet de dessiner quelques planches de façon plus convenable (le 23 juillet 1967, par exemple), mais c'est un cas isolé au milieu d'un fatras de croquis en pleine liberté. Jodorowsky approche ainsi la forme d'une bande dessinée naïve, tout en appuyant son discours par des métaphores littéraires et ses compositions par des références picturales, aux bagages nettement plus riches. Il nous montre son corps en mouvement avec bien plus de sincérité que lorsqu'il se cache derrière le graphisme léché d'un Moebius ou d'un Bess. Nous nous laissons prendre à la fascination d'un labyrinthe de motifs, emplis de vérités, de souffrances et de lettrages pop. Certaines semaines, le dessinateur pressé bâcle à l'évidence son travail. Quand il sait quoi dire, il peut reproduire six planches d'affilée un même dessin rapide pour cases ses pensées. D'autres fois, il confie à l'un ou l'autre de ses fils une partie de la réalisation, comme si avoir 10 ou 44 ans ne changeait rien à l'affaire. Les récits, d'abord effectivement proche de la fable, évoquent déjà la mort, le démembrement et la quête d'une intégrité rêvée, d'un maître peut-être. Le zen fait rapidement irruption dans les thématiques constantes de la bande, avant de tirer un peu trop vers le dogmatisme. Les fables deviennent de petites leçons de vie, où il nous est enseigné comment louer ce qu'on nous donne, comment trouver à quoi on sert, pourquoi finir ce qu'on a commencé. Une philosophie au ras-du-sol mais souvent imagée, astucieuse, improvisée, qui ne peut que nous interroger sur notre propre existence. Beaucoup d'ironie, aussi, car Jodorowsky jongle toujours d'un rôle à l'autre, adopte la posture de l'intellectuel tout en la condamnant. Il trouve des idées remarquables, comme cette radio qui se prend pour un fantastique auteur dramatique et ne fait que diffuser (24 décembre 1967), ce piédestal qui croyait soutenir et était protégé du vent (8 octobre 1967), ou encore cette poule qui veut que son œuf reste intact quitte à étouffer son poussin (6 juillet 1969). Il nous apprend pourquoi le châtiment de Prométhée, en réalité, était une récompense (22 septembre 1967), et pourquoi Narcisse, en s'unissant à son reflet, est né véritablement (27 octobre 1968). Il joue avec la forme physique des bulles comme le fera plus tard un François Ayroles, ou commente des cartoons des années 1930 de Gaar Williams à sa façon allégorique. On s'épuise vite à vouloir tout lire d'un coup, d'autant plus que les premières années des Fables sont les plus intéressantes. C'est un livre dans lequel on doit piocher sa ration quotidienne, l'ouvrir au hasard et y trouver du sens, ou du bruit, ou les deux. Puis le ranger aux côtés de Tito Topin, de Peellaert ou de Nicolas Devil. Clément Lemoine ( Mis en ligne le 06/10/2017 ) |
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