L'actualité du livre
Bande dessinéeet Policier - Thriller  

L'Anatomiste
de Nicolas Tackian , Stéphane Miquel et Loïc Godart
Soleil - Latitudes 2005 /  19.50 €- 127.73  ffr. / 144 pages
ISBN : 2849461199
FORMAT : 24,7 x 34,3 cm

Les cousins de Jack l'éventreur

L’Angleterre au milieu du XIXe siècle : quelque part dans une ville industrielle, Healthheart, où fleurit l’industrie et son cortège de misères, on retrouve des cadavres énucléés, massacrés qui font penser à l’œuvre d’un médecin doublé d’un tueur en série… l’histoire vous rappelle quelque chose ? Pourtant, ce n’est pas Whitechapel et il ne s’agit même pas de Jack l’éventreur mais d’un émule, ou plutôt d’un couple d’émules au service d’un savant fou, Knox, spécialement intéressé par les yeux et leur mystère. Après avoir déterré des cadavres, Mac Grave et Laird, les deux « entrepreneurs » vont chercher un moyen plus efficace de trouver des cadavres frais… Mais le destin, farceur, finit par rattraper les criminels avec, au bout du compte, la mort ou la folie. Atmosphère, atmosphère !

L’anatomiste est un récit sombre, hanté par la figure du serial killer victorien, où la méchanceté des uns se heurte à la bassesse et la médiocrité des autres. Healthheart, son quartier ouvrier, ses prostituées et ses pubs enfumés a des faux airs de Londres. Le scénario de Tackian et Miquel, bien rythmé, commence comme une enquête banale pour s’achever d’une manière particulièrement terrifiante, par une sorte d’enterrement vivant. On songe à des influences cinématographiques (L’antre de la folie, Birdy…) ou littéraires (Poe, Lovecraft…) que l’on peut d’ailleurs retrouver dans certaines images (en conclusion notamment) et certains angles de vue frappants. Il y a en tous les cas un travail de mise en scène et de cadrage très inspiré, servi par une palette de couleurs qui décline, en le nuançant, l’adjectif « glauque » dans son acception originale.

Le graphisme de Godart, vaguement déstructuré, limite cubiste, peut déconcerter dans un premier temps, mais rapidement, le lecteur est pris – englué – dans un univers graphique particulier et original, parfaitement adapté à un scénario bien rythmé. On a l’impression que le fog londonien, mêlé au smog des capitales industrielles, s’est abattu sur cet album aux tons vert-de-gris et – c’est là l’une des réussites d’un dessinateur sensible aux ambiances autant qu’aux personnages – le lecteur se sent peu à peu gagné par le malaise qui s’est développé dans la ville et jusque parmi les assassins. Les personnages sont d’ailleurs assez ambigus, ni assez mauvais pour être détestables, ni assez manipulés pour être excusables.

En arpentant avec Laird et Mac Grave les pavés d’Healtheart à la recherche d’une victime, on croise les ombres de défunts sans yeux, comme une sorte de carnaval cauchemardesque : le récit, à mi-chemin entre le thriller victorien et le fantastique gothique, ravira les amateurs de crimes à la Belle Epoque, sensibles à un univers graphique stimulant.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 28/02/2005 )
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