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Bande dessinéeet Policier - Thriller  

Ice Cream
de Anthony Pastor
Editions de l'An 2 - Roman visuel 2006 /  19 €- 124.45  ffr. / 88 pages
ISBN : 2-84856-059-2
FORMAT : 19 x 23 cm

Brève de comptoir

« Jésus Morales, tout a commencé avec Jésus Morales… », annonce d’entrée l’étrange individu installé au bar. Il a de grands yeux noirs, une épaisse moustache et… pas de front. Donna, la patronne du bar a l’étrange impression de l’avoir déjà vu, mais où et quand ? L’homme a visiblement envie de parler, et il raconte l’histoire de ce fameux Morales, un petit escroc qui a vendu les siens aux flics avant d’être assassiné par un bel après-midi d’été, juste avant que l’orage n’éclate. Ce jour là, la mort portait le costume de la femme forcément fatale, mystérieuse et fuyante.

Il n’est pas besoin d’en dire beaucoup plus sur cette intrigue faussement tortueuse qui emprunte à la fois aux classiques du film noir et aux pires scénarios de séries télé. Peu à peu, la dérive s’annonce et le polar très noir pioche alors quelques morceaux d'atmosphère chez David Lynch, tout en convoquant les ressorts de la tragédie antique où la Mort, belle et froide, est un personnage à part entière. Anthony Pastor fait défiler sous son objectif une galerie de personnages excentrés (plutôt qu’excentriques): entre une réplique de Barbara Stanwyck (ou serait-ce Bettie Page ?) et un flic habillé façon Derrick chic, on y croise un drôle d’étranger à la tête de volatile préhistorique. Mais pas besoin de chercher à comprendre, il s’agit juste de se laisser porter d’une case à l’autre, au rythme tranquille de ces deux images par page, simplement légendées de dialogues bruts et efficaces.

C’est un premier livre, mais la maîtrise est totale, et le dessinateur a du talent : un style réaliste qui touche chaque élément du même coup de crayon sûr et plein de nuances. Du loquet de serrure à la paire de lunettes démesurées portée par un gros moustachu, le traitement graphique est le même, précis et documentaire, quasi photographique. Drôles de photogrammes issus d’une série B inédite et oubliée qu’aurait réalisé un étrange cinéaste allumé du Hollywood des années 50. Et si les clichés sont retouchés par le laboratoire Pastor, ils gardent toujours leurs caractéristiques d’origine : cadrages audacieux, plongée, contre-plongée, macro, fish-eye déformant… la panoplie optique est au point, prête à servir cette histoire qui vogue entre rêve et folie. Car cette virtuosité graphique n’a rien de gratuit : ce regard en coin, ces axes dérangées, ces prises de vues extrêmes, sont l’indice d’un quotidien prêt à basculer ponctuellement dans la violence extrême comme dans le fantastique le plus soutenu. Anthony Pastor signe ici un premier ouvrage étrange à l’ambiance mystérieuse et captivante et dont le charme vénéneux se prolonge longtemps après la lecture.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 18/03/2006 )
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