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Théodore Poussin (tome 13) - Le dernier voyage de l Amok
de Frank Le Gall
Dupuis 2018 /  14.70 €- 96.29  ffr. / 64 pages
ISBN : 978-2-8001-6757-2
FORMAT : 24x32 cm

L'aventure c'est l'aventure

La sortie du nouvel opus de Théodore Poussin s'accompagne d'un
véritable enthousiasme médiatique et éditorial. Il faut dire que
l'intervalle entre deux albums est de plus en plus long, tandis que la
réputation de Frank Le Gall va croissant. L'exigence du dessinateur est
proverbiale, au vu des projets qu'il a abandonnés en cours de route. Son
principal personnage, lui, semble ne pas trouver de port d'attache
définitive. Il ne mourra probablement pas avant Le Gall lui-même, comme un
véritable alter ego, curieuse représentation feuilletonesque de
l'autofiction.

On retrouve donc Théodore Poussin comme un vieux camarade qui ne se
connecterait pas souvent sur Facebook. Sa vie a changé une nouvelle fois :
chassé hier de son île avec ses meilleurs amis, le voilà aujourd'hui sur le
point de partir à sa reconquête. Et nous croyons lire le début d'un nouveau
roman d'aventure. À la tête d'une armée où figurent ses vieux amis Novembre
et Martin, le jeune marin a décidé de régler ses comptes avec le capitaine
Crabb. Les préparatifs dureront le temps de débusquer quelques espions, puis
tout se jouera sur l'île, au milieu des cocotiers. Mais la force de Le Gall
est de ne jamais s'engager complètement sur le terrain de l'épopée. De-ci,
de-là, il y a bien dans Le Dernier Voyage de l'Amok l'écume de la
flibuste et du feuilleton, mais les mystères et les coups de théâtre servent
comme jeu principal celui de la psychologie. Poussin change, d'album en
album. Celui-ci achève un cycle, réglant ses comptes avec ses désirs
bourgeois et inaugurant une vie d'aventurier plus sincère. Loin du promeneur
naïf et contemplateur de ses débuts, le héros est devenu un homme influent
qui fédère les mauvais garçons et séduit une trafiquante d'armes. En signe
de rupture, ses vieux camarades le quitteront à la fin de l'épisode.

On sent l'investissement de Le Gall derrière chacune de ces planches. Les
décors fourmillent en détails et les dialogues en bons mots. Le format
luxueux de l'album confirme que nous ne sommes plus dans la simplicité. Il y
a définitivement une part d'innocence qui s'en va. Mais là où, dans
Novembre tout l'année par exemple, le premier degré en devenait
impossible, il est ici réactivé comme le seul ton cohérent, simplement
conscient lui-même de ses limites et de la discussion qu'il entraîne avec le
lecteur. Le Gall est le seul à savoir où il nous emmène, mais il ne cache
pas pour autant le récit en train de se faire. D'où des surprises mais aussi
des obscurités, dont on ne sait pas bien si on en connaîtra les vérités.

Côté dessin, pour la même raison, on trouvera encore une fragilité bienvenue
dans ces yeux esquissés d'un trait, un raccourci un peu brutal ou le retour
d'un encrage épais pour une scène de combat en pleine nuit. Alors que la
plupart de l'album fait preuve d'une densité nouvelle, certaines dernières
vignettes, au contraire, semblent étrangement légères, à la manière d'un
Pratt qu'on n'attendait pas, comme si Poussin se délitait à la fin d'un
morceau de sa vie. Le Gall célèbre son dessin, il en expose toutes les
dimensions sans en cacher aucune sous la somme des autres.
Riche en miroirs, en facettes, en trames et en points, ce Dernier Voyage
de l'Amok
mérite ses passagers.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 26/04/2018 )
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