Bande dessinée Aventure |
Nick Carter et André Breton - Une enquête surréaliste de David B. Soleil - Noctambule 2019 / 20.90 €- 136.9 ffr. / 56 pages ISBN : 97862-3020-07898-7 FORMAT : 28x21 cm Les orpailleurs Parfois, David B. s’éloigne : il s’attarde sur la géopolitique du vingtième siècle, ou il signe du bout de la plume un classique scénario d’Alix. Il y est visiblement sincère, à chaque fois. Mais quelle joie, quand il nous revient tel qu’en lui-même ! C’est le cas dans ce surprenant Nick Carter et André Breton, rendez-vous de toutes ses obsessions travaillées avec sa générosité coutumière. Pour mettre côte à côte le grand détective américain et le chef de file du surréalisme, David B. réalise un catalogue du petit monde littéraire et pictural entre le milieu des années 1930 et l’immédiat après-guerre. Un portrait de Breton en génial égocentrique, aussi, alors que le surréalisme est en train de disparaître et qu’il renie un à un ses anciens camarades. Le goût du groupe pour le feuilleton est à l’origine de cette curieuse histoire, dans laquelle Breton confie à un de ses héros préférés le soin de retrouver l’âme du surréalisme. Ce mélange entre fiction et réel aurait pu lui plaire, lui qui mettait le rêve au cœur de la pensée, et faisait un roman du quotidien d’une rencontre raconté « sans aucune affabulation romanesque ». David B. a toujours mis en avant son goût pour le surréalisme en particulier et l’onirisme en général. Il a aussi, souvent, fait intervenir le réel dans les traditions imaginaires, particulièrement dans son travail autobiographique. Mais il a aussi, de par les rêves patiemment reconstitués du Cheval Blême, laissé entrevoir la part de fiction qui a pu véritablement advenir. Ici, le parti-pris de la fiction est nette dès le titre, et on ne pourra pas l’accuser de participer aux forces de la post-vérité. Mais sans mentir à son lecteur, David B. s’amuse, une fois de plus, à mêler les niveaux de réel : il fait apparaître dans son récit Nadja, l’amour fugace de Breton, sous le nom de son double littéraire, tout en évoquant le destin de son modèle interné à Bailleuil. De la même façon, alors qu’il accumule les détails historiques, une recherche pointilleuse ne permet pas de dater le récit avec précision : ainsi la couverture du Times consacrée à Dali (décembre 1936) advient avant la naissance de la fille de Breton (décembre 1935). Ce récit prétexte vaut surtout par sa forme. Comme dans Le Mort Détective, publié il y a quelques mois à L’Association, David B. aligne des images pleines pages agrémentées d’un texte sous la vignette, évoquant la manière d’un Edward Gorey ou des woodcut novels. Ces techniques de livres illustrés, plus fréquentes dans l’album jeunesse que dans la bande dessinée proprement dite, lui offrent une liberté nouvelle dont il profite à merveille. Ses compositions se renouvellent en permanence, intégrant ses références assumées sous la forme de papiers peints (« les neiges de demain »), d’estampes japonaises (« le chant des vitriers ») ou de fresque murale (« à plat ventre »). On reconnaît, habituels chez David B., squelettes, pieuvres, et l’Invité douteux de Gorey métamorphosé en homme-oiseau. Chaque nouvelle page est un délice pour l’œil, où les corps s’entremêlent, les volumes s’aplatissent et les objets prennent vie. Les légendes forment image, et les planches sont numérotées sans autre motif que de transformer le numéro en force visuelle, pièce surnageant du labyrinthe graphique. Dans ce maelström d’objets fabuleux, où les poissons s’échappent par la cheminée et où la mer tend les mains vers la poitrine d’une femme sans visage, dans ces titres dénués d’explication rationnelle, « le tabouret de corail », « les baisers de secours », il est certain que Nick Carter a retrouvé un bout de l’âme du surréalisme. Quelque part entre l’imaginaire individuel et l’inconscience collective, le dessinateur continue à poser des jalons. Clément Lemoine ( Mis en ligne le 09/12/2019 ) |
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